The Master par Hugo Harnois
L'attente était grande. The Master était considéré pour certains comme le film le plus attendu de l'année. Alors qu'en est-il de cette oeuvre réalisée par l'un des plus grands cinéastes de son époque, et jouée par des acteurs qui n'ont désormais plus besoin de prouver leurs talents ?
Dans les années 1950, Freddie Quell fait ce qu'il peut pour retrouver une vie normale. Ancien combattant lors de la guerre du Pacifique, il est devenu alcoolique et violent. Jusqu'au jour où il rencontre Lancaster Dodd, un homme mystérieux qui se fait appeler « Le Maître », et qui dirige un mouvement spirituel nommé « La Cause ».
Paul Thomas Anderson se fait de plus en plus rare. Il prend peut-être plus de temps pour nous livrer des oeuvres aussi travaillées qu'exhaustives. Avec The Master, le réalisateur a passé un cap en accouchant d'un film très complexe. Même s'il refuse d'admettre que son scénario comporte des similitudes avec la scientologie, force est de constater que des ressemblances demeurent (l'époque, les fondamentaux). En choisissant ce thème compliqué, l'artiste a pris des risques puisque son récit n'est pas toujours compréhensible (visiblement autant pour les personnages que pour nous spectateurs).
Cela ne veut pas dire que son film manque de profondeur, bien au contraire. Il se dégage des personnages une intensité rare. Freddy notamment est très intéressant pour sa figure d'ancien soldat détruit par la guerre. Dangereux, impulsif et délaissé, il n'est pourtant pas mauvais en soi. Il ne fallait pas n'importe qui pour incarner cet homme, et là encore, nous pouvons affirmer qu'Anderson a le don d'offrir à ses acteurs leurs plus beaux rôles (Daniel Day Lewis dernièrement). Joaquin Phoenix est prodigieux en habitant cet individu comme personne. Il créé avec ce film une nouvelle facette de son jeu d'acteur qui nous était totalement inconnue.
Contrairement à lui, nous n'arrivons pas à cerner « Le Maître » (peut-être le but du cinéaste) qui est insaisissable. La figure de ce duo (après celui de Daniel et Eli pour There Will Be Blood) n'en reste pas moins passionnante. Lancaster protège t-il Freddie pour l'utiliser à ses propres fins ? Ce dernier reste t-il parce qu'il ne peut s'empêcher, comme tout homme, d'avoir quelqu'un au dessus de lui ? Au milieu des deux hommes, il y a la femme du Maître : Mary Sue, qui cache parfaitement bien son jeu. Est-ce finalement elle qui tire les ficelles ? Autant de questions qui montrent que The Master est un film énigmatique qui n'explique volontairement pas tout. C'est ce qui peut faire son charme, mais aussi laisser nombre de spectateurs de marbre.
Là où Paul Thomas Anderson ne laisse rien au hasard, c'est sur sa technique irréprochable. Sa mise en scène est parfaitement maîtrisée car aucun plan n'est à ajouter, ni à retirer. C'est sûrement le seul réalisateur a créé ce genre d'intensité dramatique que le public ressent mais ne peut expliquer. Cela grâce à une musique menaçante (composée une fois de plus par le génial Jonny Greenwood), et à des plans longs où la caméra n'a qu'un seul but : suivre le protagoniste de la meilleure manière possible. Mettons ces aspects pratiques sous une photographie splendide (tourné en 65 mm) rendant l'image la plus nette possible, et nous aurons un film formellement exemplaire.
Il faut finalement avouer que nous sortirons de la salle assez déçus, car les précédents films de l'artiste auront été plus percutants. Malgré tout, The Master doit être apprécié à sa juste valeur, et il faudra sûrement le visionner encore quelques fois pour en comprendre toutes ses subtilités. N'oublions pas que les oeuvres les plus riches sont parfois les plus complexes...