Et revoilà PT avec son obsession de la toute puissance. Cette envie tellement chevillée au corps, qu’elle peut finir par lui jouer des tours. Il veut : Le cinémascope, sinon rien. Il pense : Le 65 mm, et pas autre chose. Même si un jour, il tournait un court métrage en 1.33, on serait quand même écrasé par l’immensité des images, et le poids de la photo. Et soudain, il me semble voir un PT intimiste. Il arrive à se contrôler un petit peu, pose la caméra, et nous raconte une histoire assez linéaire. Une rencontre entre deux bêtes curieuses. On pense d’abord qu’elles vont se dévorer, mais c’est la séduction qui prend le pas. L’équilibre du film, tient à ce jeu de forces contradictoires. Deux grands acteurs qui se rentrent dedans, et une leçon de cinéma. Au jeu d’acteur plus classique de Philip Seymour Hoffman, répond le très physique Joaquim Phoenix. Deux acteurs, deux écoles, deux directions d’acteurs.


The Master, solide comme une montagne, avec sa cour, ses gens, ses disciples, son discours très secte à la mode, et Freddie Quell, le va-nu-pieds, l’ancien combattant, le névrosé, le laissé pour compte de l’Amérique de l’après-guerre, l’éternel perdant. On s’attend logiquement à voir le pauvre Freddy se faire bouffer tout crû par le cerveau, le Master. Freddie accepte la soumission, en apparence. Et c’est là que ça devient intéressant. La domination de l’esprit et du verbe du Master, n’opère pas sur la bête, Freddie. Les codes sont faits pour être bousculés, et PT ajoute son grain de sel, le doute. On voit « flou ». Par moments on voit un maître avec son élève, (le dernier de la classe qui rend les autres jaloux), et d’autres, un animal dangereux manipulé par un apprenti sorcier, qui veut à tout prix dompter la bête. The Master fait tout pour dresser Freddie, (sans franchement y arriver).
Tenir un dragon en laisse, n’est pas chose aisé, même pour un gourou à qui tout réussit. C’est peut-être pour ça qu’il insiste, le maître. Le goût du challenge. Comme tous les hommes de pouvoir, il a horreur de l’échec, et Freddy Quell, c’est une belle prise. Beaucoup de meneurs, leaders de sectes vont chercher leurs disciples dans le caniveau; ils savent bien pourquoi. Ceux qui reviennent de tout, ont tout connus, tout subis, font une fois « dressés », les meilleurs fidèles, les plus acharnés à défendre la cause. Sauf que ça ne marche pas avec Freddie. Et PT nous rend complices coupables; ce Freddie est irrécupérable. On l’a vu dès les premières images du film, très parlantes. C’est un malade. Pourquoi The master insiste à ce point, alors qu’il a perdu la partie ? Par vanité peut-être ? Non. Il y a plus…

The Master est séduit, comme le chasseur qui baisse son fusil devant le grand éléphant blanc. Plus libre qu’il ne le sera jamais, indomptable, superbe. Et ce Master qui aime à se sentir adoré, qui fait des blagues, qui chante, qui danse, qui séduit ses proies comme tout bon manipulateur, (Roi soleil ?), est déjoué par un benêt, qui a l’instinct de survie d’un animal en perdition. Le seul talent de Freddie, c’est de prendre des photos, et de fabriquer un mauvais alcool frelaté. On conseille au maître de se débarrasser de cet électron libre, qui ne sera jamais capable de servir « La Cause ». Il ne se soumet pas assez, ne sait pas parler, pas penser. Le maître dit : « Bof ! » ou presque…


Á force de gros plans écrasants, et, ou de pano-travellings étudiés, on peut se demander s’il n’y a pas bien plus qu’une franche camaraderie entre les deux hommes. Une véritable relation « amoureuse » au sens noble du terme, rarement montrée de cette façon dans le cinéma contemporain. Dans cet univers domestiqué, à cent lieues des grands espaces, comme pour mieux nous mettre dans l’emprise. Un monde fermé, de discipline, complètement hors de portée du bordélique Freddie, qui lui a tout un monde dans la tête. PT ne se disperse pas, il fait presque un ballet à deux voix, deux corps, et j’aime ça. Superbes acteurs, mise en scène presque psychique. La scène réelle ou rêvée, ou Freddie croit voir tout le monde à poils, sauf The Master. Ils le sont réellement (à  poils) ou pas ? Il rêve, ou c’est nous ? Lequel des deux est le plus fou ? Freddie, ou The Master ? Deux rêveurs, deux fous, qui se comprennent de façon instinctive, deux animaux, en somme. 

Le message du maître, à base de voyage dans le temps et d’histoire de science-fiction abracadabrantesque, est très fantaisiste; vu de l’extérieur, c'est fou. Pourtant ça à l’air de marcher. Freddie son rêve est sa vie, son cauchemar. Il ne rêve peut-être pas assez, lui...


   On voit un peu de Ron Hubbard, évidemment, facile racourcci. Ron Hubbard dans un portrait de groupe. Aucune surenchère, aucune emphase. Aucune critique, alors qu'Hollywood étant gangréné par une secte dont je tairais le nom, une charge héroïque contre « le système » aurait été facile. Trop facile. Et ça aurait déséquilibré le film. PT n’est pas si con. Il élabore plutôt qu'il ne démontre. The master est un vrai gourou, dans le sens qu’il convainc plus qu’il ne contraint. Et sa femme semble être le bras droit, le vrai cerveau, cachée derrière…le bras armé. Rien n’est simple. Une secte, c’est avant tout une "usine", au pays de la libre entreprise, et de la réussite matérielle. Tout est des plus subtils, avec une désarmante simplicité, et dans le détail, anecdotique ou presque. On comprend plein de choses. Superbe compo de Seymour Hoffman. De marbre blanc, de force contenue. Une figure emblématique du cinéma à la PT, toute puissance quand tu nous tiens. PT touche du doigt un classicisme revisité à la John Huston. Un classicisme ressurgit de ses cendres, et le constat d’une maîtrise d’un autre temps, à l’heure ou le cinéma est devenu un pur divertissement, et les héros « Super » héros de pacotille, tout en kilobits. PT résiste. Il aboutit à une superbe œuvre d’art, et un grand moment de cinéma. Deux acteurs, deux forces vives, deux étoiles filantes, qui se rejoignent, s’empoignent, roulent dans l’herbe. Et la rencontre provoque des étincelles.  

Ils s’aiment comme chien et chat.

Angie_Eklespri
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le 22 juin 2016

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Angie_Eklespri

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