Quelques bestioles dehors, beaucoup de monstres dedans.

Depuis le temps que je cite ce film comme exemple fort à propos dans l'art de la suggestion, je me devais vraiment de le revoir pour en taper quelques mots. C'est chose faite et je suis bien emmerdé. Emmerdé parce-que comme au premier visionnage, je me retrouve encore dans un doute d'interprétation. Ça me taraude un brin, tourne deux trois fois, et puis ce bordel s'effiloche et je retrouve de suite mon admiration fascinée pour cette oeuvre trouble.

Peu importe l'énumération de ce que ces courses du samedi après-midi au Super U du coin peuvent dégobiller comme messages, moi j'ai décidé depuis un bail d'y voir une des plus fortes illustrations lovecraftiennes que le cinéma ait chuinté ces dernières années. C'est un film de monstres, un comme on en fait rarement. Un groupe de gens sont prisonniers dans un supermarché nimbé de brume épaisse, terrier laiteux de créatures ignobles. Et donc c'est la merde.

Entre tentacules hérissés de crochets acérés, moustiques géants, dragons-gargouilles et araignées-hérissons cracheuses d'acide, c'est tout un bestiaire à peine montré, tout juste évoqué que le film développe tout au cours de ses deux heures complètement happantes. Et c'est là que je reviens à la charge avec le mot "suggestion", un art qui se meurt en cette ère du film à gros dollars faisant étalage de son talent technique ou du film de requin-dromadaire-bicéphale-yeux-lasers nanardesque se foutant royalement de nos gueules avec quelques effets salement jetés sur l'écran. A quoi bon jouer de la dissimulation et risquer l'ennui d'un spectateur désabusé en tentant de titiller son imaginaire quand un ordi peut tout réaliser, tout montrer, quitte à délabrer tout mystère.. Les histoires racontent tout, éclairent avec emphase chaque parcelle d'ombre, chaque lacune obscure. Les interprétions n'ont plus lieu d'être. N'imagine pas le loup dévorant le petit chaperon rouge, on te le montrera dans une version vidéo-ludique mutante. N'imagine pas Barbe Bleue animé d'une soif meurtrière, on t'illustrera un cyborg multifonctions aspirateur et tronçonneuse. Ne te fais point non plus d'image de l'ogre affamé traquant le Petit Poucet, tes nuits hantées s'évaporeront sous d'illustres images numériques d'un air de mélasse violette, être d'apparence imposée fortement montrée que tu pourras même défoncer avec une manette de PS15. La suggestion ? Aucun intérêt. Les gens paient pour voir. Imaginer, c'est dépassé, on est plus à l'époque des requins en carton et des contes sur papier.

Oui mais non. Y en a marre de l'étalage à outrance d'un pouvoir technique à l'évolution aussi rapide que son immédiate chute en désuétude. Marre de l'absence de liberté. Marre de laisser nos peurs enfantines tant aimées esseulées et somnolentes. Marre de conteurs qui oublient que les plus beaux monstres se terrent dans nos têtes. Suggérer, évoquer, murmurer, dans un jeu de caché/dévoilé est un talent rare nécessitant une alchimie des choix, des images, de la mise en scène relativement dosée. Et quand un film y parvient, ça mérite d'être respecté.

The Mist touche du tentacule cet art de la suggestion, parvenant bien des fois à propulser son spectateur dans ses propres fantasmes imaginaires. Comme Jaws et l'écran de ses eaux troubles, comme Alien et les couloirs du Nostromo, comme The Thing et ses bourrasques de neige, comme Predator et ses rideaux de fougères, The Mist use du brouillard à merveille pour voiler la terreur et la conter insidieusement, sussurant ses horreurs dans le vague et les lancinantes interrogations.

Prisonniers, l'espoir fondant comme vampire au soleil, les humains, garniture opulente d'un garde manger de choix, régressent vers leurs instincts primaires où la sauvagerie et la perte de soi deviennent providentielles face à leurs hideux geôliers. The Mist se permet alors un parallèle des plus cyniques dans ce climat onirique, laissant dans le brouillard sur la réalité des choses, de la terreur, du retour à une essence destructrice et crasseuse, illustrant hurlements de frayeur et jappements de rage d'une folie autodestructrice, évoquant grondement lourds et souffles rauques d'êtres inconnus aux silhouettes titanesques, déroulant leurs formes voluptueuse dans ce cauchemar intangible.

The Mist est une oeuvre honorable qui mérite d'être découverte. Je n'saurais parler de sa fidélité au livre que je n'ai pas lu, mais c'est un film dont je profite comme l'un des derniers rejetons du pouvoir suggéré, du murmure dans les ténèbres, de la peur informe. Le film tente bien des choses de manière louable sans forcément toucher son but dans la subtilité, mais se mène allègrement dans une atmosphère saisissante vers la fin la plus sadique de l'univers.

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le 11 déc. 2013

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zombiraptor

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