Le déroulement du film est situé dans deux endroits géographiques bien définis. Une première partie à Yanji, ville chinoise, coincée entre la Corée du Nord et la Russie, regroupant près d’un million de sino-coréens. La seconde à Séoul, Corée du sud. Gu-nam, chauffeur de taxi, vit entièrement seul depuis le départ de sa femme à Séoul, il se ruine chaque soir au mah-jong, jeu local ce qui l’empêche de rembourser de fortes dettes, qu’il doit à des truands qui n’hésitent pas à venir lui rappeler chez lui, à l’aube, chaque jour. Gu-nam est un pauvre type. Qui rumine sans cesse sa solitude, peste contre sa femme sans vraiment savoir ce qu’elle devient et doit offrir un peu de temps à sa petite fille, que sa mère garde pour l’occasion. On se demande bien où veut en venir le cinéaste, étant donné qu’à sa manière de filmer, de passer d’une situation à une autre, son utilisation musicale, son amour du déplacement des corps et tout cela repéré dans sa simple mise en scène d’une attente, d’un immobilisme qui semblent inaltérables, on sent bien qu’il n’attend qu’une chose c’est de lâcher les chevaux !

Le film s’ouvrait sur la rage. Un prologue rapidement narré, dont on imagine que ce sont les mots de Gu-nam, racontant une histoire de chien, son propre chien, enragé, qu’il avait dû enterrer avant que des paysans ne viennent le dévorer. La rage d’un être qui se propagerait. The murderer semble vouloir raconter ceci. Reste à savoir l’instant où cette rage apparaîtrait, se propagerait, probablement tournant autour du personnage évidemment, mais une chose est certaine, et le prologue l’attestait de façon métaphorique, le film ne lésinerait pas.

Afin de rembourser sa dette, un parrain local qui voit là l’occasion adéquate, propose à Gu-nam un contrat : aller en Corée du sud, tuer un homme puis revenir avant telle date. Il n’aura que pour simples indications le nom de cet homme et son adresse. Et à son retour il sera complètement blanchi. Après hésitation, il accepte, puisqu’il voit d’une part l’occasion d’un nouveau départ avec le remboursement de sa dette mais surtout l’occasion de retrouver sa femme lâchée dans le grand Séoul, et probablement aussi qu’il a perdu goût à tout, à la vie et le film n’y va pas de main morte dans la démonstration – appartement sale et bordélique, photo familiale dans un cadre cassé, sans compter les multiples visions oniriques assez vaines de Gu-nam en plein rapport sexuel avec sa femme, sous une image floue et argentée pour rappeler que ce temps là n’est plus, qu’il est loin maintenant.

Le film est divisé en quatre parties. Cette première qui précède le voyage clandestin est nommée « Le chauffeur de taxi ». Comme dans tous films qui suit un schéma chapitré, il y a une inquiétude quant à l’efficacité du déroulement du récit, d’autant plus qu’ici, le réalisme social et la course aux côtés de cet homme ne demandent en aucun cas de découpage. Là-dessus le film s’en tire bien, ce n’est jamais rédhibitoire. Inutile mais sans gravité pour sa dynamique.

Si les premières minutes du film sont intéressantes pour s’acclimater au personnage principal, elles sont en revanche assez peu passionnantes. Très peu d’idées de cinéma et généralement tout est très appuyé, attendu, sans véritable relief. Il faut attendre ce deuxième mouvement appelé « Le tueur » pour enfin être pris à la gorge par la mise en scène à l’énergie de Na Hong-jin. Le film étant vendu comme un film d’action, on se dit que ce voyage ne se déroulera bien entendu pas comme prévu, ce qui est vrai et que les choses vont prendre une tournure effrénée, sorte de chasse à l’homme illustrant le prologue qui parlait de rage, ce qui est vrai aussi mais pas immédiatement et c’est la bonne surprise du film. C’est sans doute aussi pour cela qu’il justifie sa durée imposante.

The murderer devient une partie de chasse scrupuleuse, quoique assez approximative (le personnage n’étant bien entendu pas un spécialiste à ce sujet), un film d’attente, de préparation, d’observation. Gu-nam cherche l’adresse de l’homme qu’il doit buter puis découvre toute une série d’éléments qui laissent à penser que la cible en question n’est pas un simple inconnu sans histoire, mais un homme d’affaire important déguisé en professeur de judo, qu’un chauffeur raccompagne chez lui chaque soir à telle heure. A son retour une grille en bas de l’immeuble est verrouillée. Le jour, Gu-nam découvre que l’homme loge au sixième étage, inaccessible via l’ascenseur qui s’arrête au cinquième. Et le soir c’est un ballet de lumière allumées/lumières éteintes qui guident le départ du chauffeur se devant d’assurer que son client est bien rentré. Bref, le contrat s’annonce au moins aussi délicat que l’entrée dans le pays, que Gu-nam a accompli dans la soute d’un bateau, irrespirable, serré les uns aux autres, entouré de certains qui ne tiennent pas le voyage. Cette phase d’observation est la plus belle réussite du film, elle instaure une tension croissante, aidée par l’échéance du calendrier puisque Gu-nam doit reprendre le bateau du retour un jour précis et s’il ne le fait pas, sa famille en Chine sera liquidée. Bien que ce soit ce qu’il y a de plus beau dans le film je ne peux m’empêcher d’être un peu déçu face aux parti pris offerts pour tuer cette attente du spectateur. C’est ce qui différencie ce cinéma du cinéma roumain de Policier, adjectif par exemple, dans lequel cette minutie silencieuse n’était jamais expliquée, la tension grimpait sans l’ornement d’effets inutiles, simplement par l’attente, la répétition. The murderer préfère injecter des séquences imaginées de l’acte pensé par le jeune homme. On a donc droit à un parallèle entre cet instant où il observe et conçoit son plan et ce qui doit exactement se produire si tout se déroule comme convenu. Ça n’a pas grand intérêt, pire je pense que ça pénalise le film de l’effet de surprise d’une montée de violence soudaine – façon Collateral de Michael Mann – alors qu’il a justement cette scène pivot qui arrive peu de temps plus tard – une scène hallucinante au passage – où le plan est oublié, remis à l’improvisation puisque Gu-nam découvre qu’il est doublé par deux types venus faire, le même soir, son boulot à lui. Là on se dit très bien, il n’a même pas besoin de passer à l’acte et c’est réglé, mais c’est d’une part oublier qu’en contrepartie de ce contrat et pour montrer qu’il est accompli, Gu-nam doit rapporter avec lui le doigt de la victime mais surtout, second problème majeur, les deux types entrés pour tuer le professeur ne s’en sortent pas comme prévu, l’un fait le saut de l’ange par la fenêtre du sixième sous l’œil de Gu-nam définitivement perdu et du chauffeur en train de cloper – mais pas si innocent que ça – pendant que l’autre est aux prises avec l’homme cible. Cette scène est incroyable car elle commence de cette manière là, soit une coïncidence énorme qu’en aucun cas nous n’avions imaginée, puis se poursuit dans un carnage sanglant avant de basculer en poursuite haletante avec des flics débarqués en nombre. Cette longue séquence restera à mon avis comme un sommet du genre.

Dès cette séquence pivot le film change de cap. Il était silencieux, il devient assourdissant. Il était posé, il devient effréné. Il était organisé, il devient bordélique. Il comblait, il devient économe (en effets inutiles). Pourquoi pas après tout. Les scènes d’action, essentiellement en voiture, bien que rondement menées, sont filmées à l’épaule, donc on ne comprend pas grand chose. Mais surtout, et c’est ici que le phénomène de rage entre en scène, le film devient ultra-violent. Ce n’est pas forcément l’afflux sanguin qui provoque cela – finalement on n’en voit assez peu comparé à ce que l’on donne – mais le nombre de coups qu’il y a dans le film. C’est impressionnant. Déjà, il n’y a aucune arme à feu. Tout se fait à la main, alors aux poings, à l’arme blanche voire même à l’os d’agneau, c’est au choix. The murderer devient assez jouissif dans ses enchaînements renforcés par le fait que l’on ne saisisse plus vraiment les ressorts scénaristiques du récit, on s’embrouille. Séoul devient le carrefour d’un règlement de compte général, entre des hommes d’affaires locaux, le parrain qui a engagé le garçon (qui décide de venir faire le ménage lui-même) et Gu-nam, au centre, ou même plus au centre, dépassé, relégué au second plan. Enfin toujours devant les flics qui tiennent une place assez clownesque dans le film, c’est assez dommage d’ailleurs car la course poursuite après la première scène de carnage est plus qu’improbable tellement ils sont débiles.

« Le joseon-jok » surnom donné à ces individus sino-coréens égarés à Séoul, qui n’ont pas droit d’y entrer, est aussi le nom de la troisième partie, qui démarre à l’instant où Gu-nam, qui attend bientôt de repartir par le bateau est assaillis de part et d’autres. C’est la partie chasse à l’homme. Comme un animal domestique lâché en pleine jungle.

La dernière partie du film, plus brève, s’attarde sur son combat pour quitter cette terre et rejoindre celle d’en face. Il y a « La mer jaune » à traverser. Mais le jour où il est sensé s’en aller rien ne se passe non plus comme prévu, entre l’histoire de sa femme qui a disparu qui le retient inévitablement et des passeurs eux aussi dans le coup avec le parrain du début. Cette partie m’intéresse car rarement dans un film de ce genre je n’aurais autant ressenti cette impression que l’échappée du personnage principal est réellement insurmontable, que quoi qu’il fasse, il ne s’en tirera pas. Je n’y ai pas cru une seconde. Et j’avais raison. La fin du film se veut presque logique finalement. Un happy-end n’aurait pas marché.

S’il a tendance à vouloir trop en montrer, appuyer sur certaines choses de façon très maladroites (la dernière scène du film et cette femme ramenée en Chine par le train attestant de l’absurdité de tout ce que l’on vient de voir, en est l’exemple le plus représentatif) c’est pour moi une réussite totale, dans sa volonté de casser le film en deux (voire en quatre), de brasser les genres et surtout de proposer un survival movie comme on n’en avait encore jamais vu. La débauche de violence et de sang n’ayant d’égal que l’énergie déployée pour donner corps à ce carnage général hyper travaillé et en fin de compte assez jouissif.
JanosValuska
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le 13 déc. 2013

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JanosValuska

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