Jesse n’est même pas majeure qu’elle quitte la Géorgie pour tenter sa chance dans le mannequinat en Californie. Loin de sa campagne natale, esseulée dans un bassin de requins et d’artifices plastiques, sa beauté juvénile suscite passion, haine, jalousie et désir envers ceux qui la côtoient, bien malgré elle.


Only God Forgives n’était qu’une étape dans la maturation du style Winding Refn, réalisateur torturé au parcours tortueux, aussi fascinant par sa coolitude que son gout singulier pour les séries Z 70’s de goût douteux. Un type qui en interview et masterclass ne cache pas ses faiblesses très freudiennes ayant marqué sa jeunesse pour façonner l’homme qu’il est aujourd’hui. Entre fantasme pour la violence, inconfort auprès de la gente féminine et fétichismes variés, la personnalité du danois est difficilement sondable mais offre à ses films un terreau formidable qui porte ses dernières créations hallucinées dans la catégorie des chefs-d’œuvre de mise en scène. The Neon Demon en est la quintessence.


C’est grâce au désormais culte Drive que le réalisateur s’est fait une réputation au-delà des fans arty et hipsters de LA. Ryan Gosling vole depuis de ses propres ailes, comme l’atteste la réalisation de Lost River où l’influence du travail de Refn est évidente. Only God Forgives, encore fragile dans sa narration, n’était donc qu’un « match de préparation » pour les deux hommes qui voguent vers d’autres horizons. Elle Fanning est ainsi la nouvelle égérie de Winding Refn qui, comme ces prédécesseurs, occupe le rôle central de son histoire. Tout tourne autour d’Elle (aka Jessie), elle cristallise absolument chaque plan, chaque mouvement de caméra et occupe toute l’attention des personnages qui l’entourent.


Profondément cynique, le film montre comment une jeune mannequin à la beauté virginale inhabituelle bouleverse un monde qui ne jure que par l’artificialité des traits et des personnalités. Le culte du jeunisme est à son paroxysme dans le moule jetable de la mode, ce qui n’est pas sans causer quelques remous. Une concurrence malsaine entre proto-femmes se forme, un triangle diabolique obsédant que l’on retrouve tout au long du film faisant de Jesse un intense objet de désir/haine auprès de toutes les personnes qu’elle croise. Des vampires omniprésents qui veulent se nourrir de sa pureté, seulement guidés par des instincts animaux : regarder, toucher, bousculer, blesser, violer… et tuer ?


Au jeu de qui sera la plus belle, et donc la plus à même de défiler sur les podiums, Jesse passe devant ses collègues sans forcer. Dans ce milieu présenté comme une froide machine, elle adopte malgré elle les codes du milieu au risque de courir à sa perte. Perte de sa candeur, de sa timidité mais handicapée sans doute par son innocence. Les hommes occupent une place secondaire dans The Neon Demon qui présente un éloge d’une féminité létale voire castratrice : la phallocratie tire sa révérence.


Les productions de Nicolas Winding Refn c’est aussi (et surtout) une identité visuelle forte, accompagnée d’une bande-son électrisante. Gêné par son daltonisme, le réalisateur comble son incapacité à voir toutes les couleurs par des contrastes très forts. Les teintes délavées des lumières néons enrobent chaque image, l’éclairage devient toujours plus oppressant et psychédélique, comme dans les quelques trips visuels que propose le film. Le blanc saillant des flashes de photographes interrompt toute lassitude. Un régal pour les yeux, c’est bourré de détails et de nuances, bien aidé par un cadrage et une mise en scène à la précision scientifique. La bande-son électro de Cliff Martinez capte une fois encore toute les spécificités du langage cinématographique de Refn, avec ses compositions viscérales. Des sons souvent effrayants qui résonnent avec les images rarement apaisantes du réalisateur.


Elle (Fanning) sera très bientôt une star d’Hollywood ; Lui continuera de nous faire voyager dans son hallucinante psyché. The Neon Demon, vraisemblablement boudé à Cannes pour ses bizarreries et son WTF ambiant, est une nouvelle expérience puissante de Winding Refn, pour le peu que l’on accroche à son univers visuel et sonore stupéfiant. Aussi barré et complexe que son créateur, le film est une bonne dose de poudre magique qui encourage chaque spectateur à en faire sa propre interprétation. Pourtant dérangeant et parfois marqué du mauvais gout, impossible de ressortir indemne d’un film pareil. Profitons-en, le néon est un gaz rare.

ZéroZéroCed
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le 3 sept. 2016

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