Elle Fanning joue Jesse, débarquant au début du film dans une ville qu'elle ne connait pas, seule, jeune modèle prête pour l'habillage, le maquillage ; parfait socle vierge destiné à être recouvert de toutes les furies et lubies d'artistes extrêmes. Ce personnage « page blanche » renvoie à la princesse des contes de notre imaginaire collectif et de ses motifs, alternant miroir de Reine Mère, Pygmalion peignant sa Galatée d'or, Belle endormie, figures d'ogres et de loup-garou divers rôdant autour d'elle, le personnage du photographe notamment. Comme dans tout conte, l'héroïne va effectuer le chemin pour accéder à sa quête, et traverser des lieux – piscines vides, salle de shooting blanc, motel glauque - comme autant d'épreuves de Sphinx.


Refn montre les visages et les corps en dévoilant leur face monstrueuse, illustrant leur pendant expressionniste, choix rarement emprunté au cinéma.
Sur ce chemin élévateur du conte, Jesse devient maîtresse d'elle-même et se transforme physiquement : on verrait presque le corps d'Elle Fanning muter en carapace kafkaïenne : allongée sur son lit, elle agite ses jambes comme deux longues pattes animales. Pas de bol, les ogres l'éliminent et le corps change d'enveloppe, le temps de ce plan génial où le « nouveau corps » se relève perché sur ses talons, trouve l'équilibre et s'éloigne dans le couloir telle une mue horrifique.


Le film ose les héroïnes déshabillées, qu'on peint à même la peau, qu'on rend in-désirables, qu'on fait s'entre-déchirer, s'entre-détruire et renaître. Une petite ronde de personnages féminins qui finissent par n'en former qu'un seul. Ce freak final, invisible sur les habituelles couvertures de magazines, nous dit un certain danger de la superficialité, du vide, et aussi, dans un deuxième temps plus méta, un danger pour les personnages de cinéma. Trop de couches de peinture, trop de faux tueront, à la longue, la jolie princesse de nos livres d'enfants.


L'enveloppe Elle Fanning fait converger sur sa juvénile figure angélique toutes les questions sociétales qui posent le problème d'ÊTRE, être soi, être par rapport aux autres, être qui on veut, faire semblant d'être, jouer à être, dévorer de trop désirer être, disparaître d'être trop peu. Une forme de résistance féminine idéale pour la jeune actrice américaine au métier si schizophrénique. Le masque de sang de Jena Malone va dans ce sens : le dévoilement du vrai visage, et le film aurait pu s'arrêter sur ce plan-symbole.


Une fille qui veut accéder à sa place sociale, à une certaine idée de l'identité : Refn sur-exprime cette quête par ses créatures, ces corps exposés, ils disent ce qu'on ne dit pas en société. C'est un geste fort de cinéaste de mettre en scène son propos de manière aussi charnelle, lumineuse et spatiale. C'est le titre finalement : un néon qui brille et que, donc, tout le monde peut voir, mais devant lequel personne ne remarque / ne veut remarquer la face obscure.

CharlotteBénard
7

Créée

le 20 août 2020

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