La mode ou l'essence du Beau, Baudelaire

Alors que l’oeuvre de NWR est vivement attaquée sur ses vides scénaristiques, The Neon Demon prend à contre pied les critiques, et devient alors une farce sublime. En lui imposant une étiquette d’auteur plastique, les critiques permettent à NWR de réaliser une oeuvre aboutie en adéquation avec le fond de la forme. Nulle critique d’un monde éphémère et superficiel, d’Hollywood ou de la mode, mais seulement une réflexion sur le Beau, et la façon dont cette notion écrase notre société avec tous ses paradoxes. The Neon Demon fait alors parti de ces objets autotéliques, c’est à dire « qui n’a d’autre but que soi-même » s’appuyant sur la réflexion parnassienne d’un art formé par amour de l’art, totalement indépendant, abandonnant tous desseins politiques ou moraux, et permettant ainsi une subversion glaçante et un regard objectif et désintéressé sur notre monde. NWR ne fait alors qu’exposer à travers cette galerie de mannequins lupines, aux jambes et aux yeux trop grands, les travers de la beauté : Tout le monde recherche la perfection en silence, s’affirmer « beau » reste un péché d’orgueil, reconnaître ses talents est aujourd’hui vivement critiqué, au point où lorsque l’on nous offre un compliment, on le rejette modestement, parfois réellement gêné. NWR pousse donc le concept à son paroxysme, faisant des femmes de simples objets de désirs, qui n'ont de pouvoir que par leur inutilité et leur belle présence qui asservit les hommes. Finalement tout être humain est enchaîné au film de Refn car tout être humain est enchaîné au Beau, soit parce qu'il l'incarne, ou l’adule.
Mais pourquoi la Mode ? NWR a une approche quasi-baudelairienne de la beauté, et de sa composition double, paradoxale de part son éternité et invariabilité mais également sa relativité liée aux circonstances. Ainsi, Jesse est une « vraie » beauté, immuable, she has that thing car sa beauté est intemporelle et ne dépend pas des canons de beauté relatif à notre époque à l’inverse de Gigi qui est refaite et n’existera en modèle que dans l’instant présent est incapable de pouvoir survivre éternellement. Tout comme chez Baudelaire, il n’y a pas dans le film de NWR moralisation de l’éphémère au profit de l’intemporel, puisque Jesse présentée comme une Beauté véritable, sait qu’elle ne peut rester belle à jamais qu’à travers la mort, et Gigi ne peut supporter la Beauté « pure » et quasi-divine de Jesse, et la rejette/recrache. Les deux beautés sont donc dans le film de NWR, liées à la mort.
Ensuite, les rites cannibales auxquels les mannequins s’adonnent rappellent les travaux et recherches de Claude Levi-Strauss, qui explique que le cannibalisme n’est jamais vain, mais se justifie par la volonté d’aspirer la force de son ennemi. Jesse est donc « dévorée » par ses rivales qui tentent trouver en elle la Beauté à laquelle elles aspirent. Refn nous offre donc un film où le succès est macabre, la Beauté étant toujours liée à la Mort. La scène d'ouverture est d'ailleurs la mise en scène d'Elle Fanning, affalée dans un fauteuil, couverte de sang, feintant la mort. Or Hegel dans L'Idée du Beau explique que la beauté parfait et idéale est la beauté des morts (On retrouve cette idée dans le second travail de Ruby qui consiste à maquiller les morts). Lavater partage ce point de vue d'une beauté néoclassique cadavérique dans son ouvrage La Physiognomonie, L’Age d’Homme de 1998 : «  J’ai remarqué, dis-je, un ennoblissement inexplicable de leur physionomie : l’homme était tout changé ! […] C’est l’image de Dieu que j’ai vu briller sous des débris de la pourriture, et je me retournai, me tus et adorai. Oui, tu existes, magnificence de Dieu, tu existes même dans les hommes les plus faibles, les plus corrompus ! »
Le Beau est donc mortuaire et divin, ce qui nous mène une esthétique de la spiritualité justifiée par la définition kantienne du Beau : le bon plaît au sens (Gigi), alors que le Beau plaît à l’esprit (Jesse). Cette approche nous est dévoilée lors d’un dialogue entre Dean et un créateur qui cherche à définir Gigi «  She's fine » et non fascinante comme Jesse.
Pour illustrer cette spiritualité, NWR revient à ses premiers amours et puise dans la mythologie nordique : on retrouve la pleine lune qui ouvre et ferme l’histoire de Jesse. Or, Mani, le dieu lune est suivi de deux enfants, « le décours » et la « croissance » qui symbolisent dans le récit les succès et les échecs de la jeune femme, et qui pourrait se substituer aux deux mannequins cannibales. Enfin le personnage de Jena Malone incarne le loup Managarmr « qui dévorera la lune et aspergera de sang le ciel et l’air tout entier ». Cette citation fait écho à la scène onirique/horrifique durant laquelle Ruby, baigne dans son sang, éclairée par le crépuscule lunaire. Une nouvelle fois, le Beau a les traits du divin.
D'autres mythes viennent étayer son discours, mais NWR joue également avec les formes : le rond (l’immuable, le cycle), le triangle (la Trinité, et le chiffre 3 qui revient tout au long du film), mais aussi les animaux (sur-utilisation des félins) et des astres (nous l’avons vu, la lune mais aussi les constellations qui reviennent souvent, malheureusement, un seul visionnage ne m’a pas suffit pour les reconnaître).
Pour conclure, s’intéresser à la mode dit Baudelaire, c’est « comprendre le caractère de la beauté présente », autrement dit, c’est comprendre l’éphémère par l’éphémère, et c’est ce que fait ici NWR, en faisant de la forme son fond et de son fond sa forme, obligeant le spectateur à adhérer à son concept d’objet suffisant et autonome, pernicieusement beau. Il élève son film dans la sphère du logos, nous aide à penser les grands concepts de la philosophie, le Beau et le Temps.

bezoard
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le 5 juin 2016

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