Comme une griffe laissée en bas d’un tableau ou la marque d’un couturier comme le célèbre YSL, Nicolas Winding Refn signe son film de ses initiales. NWR, apposé comme un sigle, symbole d’une marque, la marque Nicolas Winding Refn et connaissant la tendance égo trip de celui-ci on sait pas trop bien où s’arrête l’ironie dans ce sigle. The Neon Demon est donc une création se plaçant dans la droite lignée de la « marque » NWR et surtout de Only God Forgives : onirique, esthétique et surtout hypnotique. Comme le dernier film du réalisateur The Neon Demon est un labyrinthe hanté de couleurs et de formes dans lequel évoluent les grandes silhouettes émaciées des mannequins, démons aussi artificiels que les lumières des néons dévorant tout ce qui leur fait de l’ombre. À ce titre, les quatre actrices principales incarnent cet aspect, Elle Faning comme un être parfait quasi surnaturel cristallisant jalousie et désir des trois autres personnages simples mortels imparfaits et donc avides de la consumer, de la détruire. À côté de ça les personnages masculins sont très en retrait gravitant à distance, spectateur impuissant. L’homme ne peut dans le film que mettre en scène la beauté mais jamais ne l’incarner.


C’est un parcours singulier que celui de Winding Refn partant de films comme Pusher ou Bleeder très brut de décoffrage, tournés caméra à l’épaule pour finalement prendre un virage de plus en plus esthétisant avec Only God Forgives ou The Neon Demon. Et pour comprendre ce film comme Only God Forgives il faut les regarder non pas comme des films s’inscrivant dans le réel mais au contraire des rêves. Des rêves dans le sens où The Neon Demon est une oeuvre à la fois sensorielle mais aussi symbolique. Sans rentrer dans l'analyse, le film est rempli de symboles très rémanent d’une lecture psychanalytique Freudienne tout en baignant dans une ambiance ésotérique. Ce n’est pas par hasard si Refn cite volontiers dans ses maîtres à penser Alejandro Jodorowsky (à qui il dédiait Only God Forgives) lui aussi très imprégné de la psychanalyse et adepte de différentes pensées ésotériques (Jodorowsky tirait d'ailleurs les cartes à Refn par Skype durant le tournage). Que ce soit l’omniprésence de le figure du triangle, des miroirs ou du couteau, symbole phallique, le film peut se voir comme un cauchemar ou un rêve mais d’un point de vue littéral. Comme dans un rêve la narration se dissout volontiers durant des séquences purement sensorielles diluant le temps et parlant directement à nos sens grâce au choix d'une image et d'une musique très tranchées. Ce que revendique aussi Refn dans ce film est dit par un personnage «La beauté ne fait pas tout, elle est tout». Ce n’est donc pas étonnant de voir un film qui mettra la narration au second plan puisque cette dernière est perpétuellement diluée dans l’esthétisme et est un prétexte pour la mise en place de plans symboliques très puissants. Or, un symbole est un élément visuel qui ne prend son sens que vu par le prisme adéquat, le film n’opère pas le sous-entendu, il cache tout son sens dans son apparence raccord au message qu’il transmet. Ces symboles, cœur du film sont quant à eux emboîtés dans un écrin esthétique sublimé par une photo, des décors et une lumière renversante comme sait si bien le faire le Danois. Tout en gardant une profonde identité le film fait appel à des totems très intenses pour construire son apparence que ce soit le giallo comme Suspiria ou plus récemment L’Étrange couleur des larmes de ton corps ou même dans certaines de ses explorations visuelles, les tests qu’avait fait Henri-George Clouzot sur son Enfer jamais tourné mais avancé très loin en terme de production. La réalisation de Refn est donc elle aussi au service du beau avec des mouvements sous forme de travellings classieux tout en longueur mais aussi des plans très symétriques accompagnés d’un montage qui laisse chaque choix esthétique imprégner la rétine du spectateur. D'une certaine manière au delà de faire du beau Refn se met au service du beau, ainsi chaque plan vise à atteindre une perfection esthétique à l'image de ces mannequins prêtes à tout pour briller. Elle Fanning qui joue Jesse l’héroïne, est donc au cœur des plans mais plus que sublimée, elle est presque consumée par la beauté des décors et de la lumière si bien qu'elle finit par se fondre dans le plan, ne faisant plus qu’un avec ce monde aussi artificiel que cruel.


Le rythme du film est aussi très caractéristique du cinéma de Refn, d’abord lent entourant le spectateur d’une nappe hypnotisante avant de créer une tension par un pic de violence ici vraiment trash ce qui crée un contraste très puissant qui désoriente totalement le spectateur, à noter que ici l’imagerie «horrifique» va plus loin que ses films précédents. Invoquant des figures aussi disparates que l’histoire de la Comtesse Bathory et le cinéma d’exploitation trash et bis à la Cannibal Holocaust, Refn crée un rêve empoisonné cohérent mais aussi demandant au spectateurs un effort pour comprendre ou même juste accepter un rythme et une narration fondamentalement différente de ce que nous propose les autres films. Marchant toujours sur la lame du rasoir de l'auto-caricature Refn produit en quelque sorte une essence de son cinéma pur, brut mais aussi pas nécessairement accessible comme pouvait l'être Drive. Porté par une volonté de cinéma extrême il met en avant la spécificité de ce dernier c'est-à-dire le montage et l'image en mouvement pour nous interroger sur ce que nous voulons d'un film. À travers ce geste de cinéma Refn essaye de non plus parler à notre conscience mais à notre subconscient par le biais de tabous et de symboles primaires, ce qu'explicite le recours à la lumière de couleurs primaires dans le film (bleu, rouge et jaune). Si le film commence par masquer le tabou par le surmoi qui prend la forme du cadrage qui ne montre pas, au fil de celui-ci sautera les barrières jusqu’à arriver à ce qui caractérise le cauchemar la matérialisation des tabous et démons qui habitent l'océan infini de notre subconscient.

Adrien_Pointel
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le 15 juin 2016

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