Il n'y a à mon sens pas cinquante (ni même trois) façons d'aborder un univers aussi référencé et codé que l'est celui d'un privé -et son pote- dans le Los Angeles des années 70.
Pour pondre quelque chose digne d'intérêt, je ne vois guère que deux options. En abordant la chose sous un aspect franchement décalé et pourquoi pas littéraire, comme le fit Anderson adoptant Pynchon, ou alors en y injectant une forte dose de dérision, de second degré et de détournement des codes.


Le grand mérite de Shane Black est d'avoir opté pour la deuxième possibilité tout en restant fidèle à ce qui, depuis ses débuts, constitue son identité. En voyant ce cru 2016, je me suis dit que le garçon avait dû connaître quelque chose de particulièrement fort avec sa fille, pour vouloir la mettre presque aussi systématiquement en scène. Quelques recherches internet plus tard, je suis bien incapable de confirmer ou contredire une telle hypothèse. La vie privée du bonhomme semble aussi impénétrable qu'une forêt bocca-rhodanienne au mois d'août, quand cette espèce de chaudasse, qui ne manque pas d'air, aime tant faire parler d'elle.


Pour avoir découvert "son" dernier Samaritain l'après-midi même, alors précisément que la colline s'embrasait à quelques centaines de mètres de chez moi et que les canadairs passaient en rase-motte au dessus de mon toit (contextualisation plutôt efficace, non ?) je remarquais deux choses.
1) il vaut plutôt mieux réussir la dramaturgie de sa fiction, pour qu'elle puisse prendre le pas sur les émotions fortes que peut te procurer la vie réelle, quand cette dernière se prend pour Johnny et décide soudainement de bousculer ses habitudes ronronnantes.
2) il est parfois préférable d'écrire quand on est bien dans sa vie que quand on est au fond du trou.


Car si les points communs entre les deux scénarii sont légions, le traitement qui leur est appliqué donne au résultat une texture presque diamétralement opposée. Et tant pis si je froisse les extrêmement nombreux fans du dernier boy scout, mais je suis infiniment plus convaincu par ces Nice Guys que par les aventures poussives de l'ex garde du corps du président, dont il a été dit plus tard que l'état moral de Joe Hallenbeck à l'écran reflétait celui du scénariste, au moment où les feux de la rampe éteignait ses ampoules unes à unes, avant une redoutable traversée d'un long tunnel de nuit Hollywoodienne. Ce moment où la jungle, soudain asséchée, se transforme en désert.


La différence se remarque sans doute assez nettement dans une scène que l'on retrouve dans les deux métrages. Quand dans la version de 91 les deux buddys s'épanchent sur leurs traumas respectifs pour expliquer au spectateur consentant à quel point ce sont des têtes brulées qui n'ont plus rien à perdre, la chose est immédiatement court-circuitée en 2016: Holland s'endort sur le plongeoir qui le suspend au dessus du plus grand cendrier du monde, avant même que Jaskson n'ait fini son histoire.
De même, toutes les problématiques hyper-testostéronisée de la fin des 80s enfin évacuées (bon dieu, que les héros du samaritain sont tristement virils), la masculinité peut être joyeusement questionnée, et il n'est pas si paradoxal en ce sens d'avoir choisi pour cadre de cette enquête un poil balisée une époque où les repères étaient si bordéliquement mélangés.


D'ailleurs, ici comme souvent, l'enquête sert de simple tuteur (ce qui peut produire les meilleurs et les pires films, selon la qualité de la chair qui viendra habiller le squelette) et la chose est plus de nature à porter qu'a desservir le propos.
Si la trame est une exposition successive de codes, c'est pour mieux pouvoir les contourner et les retourner, la bêtise dont est capable le personnage de Gosling, au milieu de fulgurances inattendues, n'est rien d'autre qu'un parfait reflet d'une certaine réalité: nous savons tous qu'il n'existe pas d'intelligence ou de bêtise absolue (sauf peut-être parfois le 14 juillet au volant d'un camion) puisque nous sommes tour à tour, et selon les situations, les personnes et les époques, de fins analystes ou d'épais abrutis.


Et comme le film assume son aspect cartoon (cela est si rarement réussi), les bons moments se succèdent. Si March donne des infos cruciales à la méchante évidente du film sans raison (autre que celle d'être amoureux), nage avec les sirènes et mime d'une manière déraisonnablement réaliste une chute qui pourrait être mortelle, c'est aussi quand il interprète n'importe comment un message sibyllin que l'enquête avance, cernée par les corps qui tombent -de balcons, d'ascenseurs, ou sur des voitures-.


Revenu de l'enfer, Shane Black l'a bien compris, la toute puissance n'est qu'une illusion.
Il n'est donc pas étonnant de voir ses personnages portés et ballotés par les évènements, ne s'en sortir que grâce à l'amitié (a-t-il employé le fils de Val Kilmer en ce sens ?), la bonne volonté et l'humour.
Ces éléments, seuls, peuvent sauver une vie (ou un film) du naufrage.

guyness

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