The Offence
7.3
The Offence

Film de Sidney Lumet (1973)

Et non plus les autres, pourrait nous dire Lumet, prenant à contrepied la célèbre formule de Sartre dans Huis-clos, pour filmer un homme confronté à ses démons, à ses peurs et ses angoisses, un homme qui va entrer en collision avec sa part d’ombre, fatale ambivalence de la nature humaine, que le cinéaste explore dans ce film d’une noirceur absolue et terrifiante.


Un projet qui n’est pourtant pas de lui : comme pour se démarquer du personnage de James Bond qui lui collait à la peau, Sean Connery a cherché sans relâche, dans le cinéma indépendant ou auprès d’auteurs confirmés, des « espaces de liberté », s’engageant corps et âme dans cette adaptation d’une pièce de théâtre de John Hopkins, pour livrer une prestation hallucinante où tout n’est que tension, fêlure et douleur intérieure.


Un policier dans lequel on peine à reconnaître Sean Connery le tombeur de ces dames, l’acteur viril au sourire carnassier et à l’œil de velours, tant une chape de plomb semble l’enserrer de toutes parts, pris qu’il est entre son col de fourrure, annonce à peine déguisée de la bête qui sommeille en lui et la moustache sans grâce qui lui barre le visage, en écho à celle de son double «longue et en forme de canines dévoratrices», Baxter, pauvre bougre arrêté par hasard ou violeur impénitent ?


Mais Lumet ne fournit pas la réponse, ne résout jamais totalement les pistes qu’il propose, laissant le doute s’insinuer en nous et cette quête de vérité, au cœur de tous ses films, c’est d’abord celle d’un homme qui se débat contre lui-même, hanté par vingt ans d’horreurs, une «humanité qui s’effrite à côtoyer le mal» comme celle que mettra en scène Friedkin 8 ans plus tard dans Cruising avec Al Pacino.



« Je lirai en toi, Baxter, à livre ouvert, Page après page. C’est là,
écrit sur ton visage. Des lignes, des ombres, sur ton âme immortelle.
Tes yeux !!! »



À qui s’adresse Johnson, enfermé seul avec le suspect, un masque de haine déformant son visage? À l’individu recroquevillé sur lui-même, qu’il a décrété coupable, ou à l’Autre, présence qu’il cherche à extirper de son cerveau malade : ce double issu d’un cauchemar qui le poursuit et ne le lâche plus ?
Un combat sans merci s’engage alors entre les deux hommes : Baxter entre-temps s’est ressaisi, comprenant que le policier, au bord de l’implosion, veut accoucher coûte que coûte de la bête qui est en lui.



Ce que je peux faire n’est rien à côté des idées dans votre crâne



le nargue Baxter : un triomphe que Johnson ne lui pardonnera pas.


Comment admettre en effet sans se révolter, que ces visions qui l’assaillent, loin de le révulser, exercent sur l’homme qu’il croyait être, une fascination dont il se repaît, comment accepter sans dégoût que sa vraie nature s’apparente à cette terrifiante bestialité, qui lui fait évoquer les cuisses blanches et dénudées de la petite Janie, découverte dans la forêt, couverte de contusions, violée et traumatisée…


L’homme ne peut résister à l’horreur, voilà ce que tente de nous démontrer Lumet, dans ce huis-clos noir et profondément dérangeant, qui de surcroît nous apparaît sans issue.



C’est toujours la nuit, on est seul. Le silence…Le vide…La mort. Et
personne. Des gens meurent…Personne !...



déclare Johnson comme halluciné, à sa femme, brisée par son mépris, anéantie par son rejet, alors même qu'elle tente de l'aider, dans un affrontement d’une violence psychologique inouïe, d’autant plus tétanisant qu’il s’inscrit dans le quotidien, sorte de lèpre qui contamine même son foyer.


Un film dur et éprouvant, « un polar poisseux qui colle longtemps à notre rétine » mais une œuvre qui explore de façon magistrale, les tréfonds de l’âme humaine et la nature ambivalente de l’homme déchiré entre le Bien et le Mal de toute éternité.


https://voirfs.com/film/ent/The-Offence?ep=16201

Aurea

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