Les tics indés sont là, le fétichisme et l’ultra stylisation aussi. Au bout de cinq minutes dans le dos de Gosling via un plan séquence improbable (Est-il sur la moto lorsqu’il entre dans la bulle ?) puis après cinq autre minutes visage cadré serré, silencieux et tirant sa tronche habituelle de constipé, je me suis alors rendu compte à quel point Drive (2011) ou remontons encore, The wrestler (2009), voire Collision (2005) avaient fait mal au cinéma urbain white trash ricain. Je cite volontiers ces trois films car je les aime tous les trois beaucoup mais il est agaçant de constater combien ils sont devenus les étendards d’un certain cinéma indépendant de bon goût, sur esthétisant, cumulant les morceaux de bravoure (l’accident de voiture dans le film d’Haggis, l’ascenseur chez Refn, la tension finale chez Aronofsky, pour ne citer qu’une scène dans chaque, en l’occurrence hyper représentatives de ce mouvement, sorte de lissage à l’émotion avec ralentis en tout genre, musique ambiante hyper illustrative). The place beyond the pines gagne et perd à vouloir modifier les règles. D’abord englué dans un schématisme ultra léché du polar romantique, le film surprend grandement à son tiers : un nouveau film commence, centré sur un autre personnage et reproduira un dispositif similaire dans le dernier tiers. Faire trois films en un, c’est là l’ambition de Derek Cianfrance, qui veut embrasser la grande tragédie. Je ne vais pas dévoiler ici le bouleversement narratif car ce serait à mon sens priver le film de son attribut essentiel, certes c’est assez péjoratif de le réduire à ce parti pris mais c’est ce qui m’a relancé dans le film, alors que je n’étais pas loin de poliment somnoler. Il y a donc une idée forte mais elle ne débouche malheureusement sur pas grand-chose. Le cinéaste est bien trop focalisé sur son dispositif et son léchage de l’image pour avoir vraiment quelque chose à raconter, le film baisse donc en volupté de minute en minute. A une première partie très Nicolas Winding Refn dans la forme, avec ces plans nocturnes éclairés aux néons, arrive une seconde, pluvieuse, nettement plus tragique et moraliste, un peu plus dans la veine du cinéma de James Gray, moins le talent. Débarque enfin une troisième et dernière partie beaucoup plus faible, qui ressemble à n’importe quel film indépendant, traçant les convergences des deux précédentes parties, climax d’une odyssée sur la destinée humaine avec l’héritage laissé par les pères et des catégorisations simplistes et lourdes. Que nous révèle Derek Cianfrance ? Tout simplement qu’il ne sait filmer que Ryan Gosling (qu’il avait déjà mis en scène dans Blue Valentine) au sens où il ne lui donne qu’à lui une véritable empathie dramaturgique. Et je pense qu’il le sait. Du coup l’exercice théorique est aussi passionnant que manqué dans la mesure où le film n’arrive ni à donner vie au personnage interprété par Bradley Cooper (qu’il coince dans un questionnement moral un peu raté où il semble un coup profiter de son rang de petit produit républicain pour finalement par instants rejeter les inégalités que l’Amérique engendre, en gros) et encore moins à incarner ces deux progénitures paumées dont on ne croit pas une seule seconde en ce lien dramatique et abstrait qui les unit via le passé de leurs pères. C’est donc un film plutôt raté mais qui a distillé en moi une certaine admiration quant à ses choix fulgurants et sa relative parenté avec certains films cités plus haut que j’aime beaucoup et dont il partage (trop peu) une force émotionnelle non négligeable.
JanosValuska
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le 27 nov. 2013

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JanosValuska

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