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Après une longue absence au cinéma, Jane Campion nous revient avec son premier long-métrage depuis douze ans, The Power of the Dog. Un drame sombre et sinistre aux allures de western, qui nous mène aux confins du Montana.


The Power of the Dog, c’est notamment l’histoire de deux frères, Phil et George, qui gèrent l’énorme ranch hérité de leurs parents. Le premier est un vrai cow-boy du cru, endurci, viril et macho, fidèle aux vieilles traditions, mais doté d’une intelligence certaine qui lui permet de garder la main sur l’entreprise familiale. Le second est bien plus urbain. Parce qu’il est son frère, George reste respecté par Phil, mais ce dernier ne manque jamais de se moquer de son embonpoint et de ses manières, en plus de le critiquer pour son manque de jugeotte. Cette opposition entre les deux frères vient illustrer cette cassure entre le XIXe siècle, la période de la conquête de l’Ouest et de la ruée vers l’or, où la civilisation américaine s’est vraiment construite, et le XXe siècle, celui de la modernité et de l’urbanisation. C’est ainsi que se retrouver en 1925 dans ce ranch perdu au fin fond du Montana crée un vrai décalage, quand on sait que Wall Street était alors en pleine ébullition au cœur du New York des Années Folles.


C’est sur ce décalage entre l’époque et la façon de vivre très dure et traditionnelle de la famille Burbank que Jane Campion vient ici jouer, notamment dans la gestion des décors et du cadre. Le film laisse la part belle aux majestueux paysages de la région, faits de montagnes et de vastes étendues inhabitées, où ne serpente qu’une seule route, unique lien avec ce que nous pourrions appeler la civilisation, ou du moins la modernité, accessible grâce à l’automobile de la famille. A l’instar des westerns d’époque, The Power of the Dog ramène l’humain à son échelle, petit face à l’immensité de la nature, ici isolé dans ces contrées inhabitées, où les lois de la nature viennent se heurter à celles de la société. On retrouve ainsi, dans The Power of the Dog, les principaux codes du western, à commencer par l’importance et la beauté des paysages donc, mais aussi cette exploration de la limite entre le monde sauvage et le monde civilisé.


Phil est certainement l’incarnation la plus évidente de cette sauvagerie, lui qui se montre impitoyable envers Rose et son fils, qu’il considère comme des intrus dans son monde. Pour lui, tout doit rester tel qu’il est, et comme Bronco Henry, son mentor dont il ne cesse de chanter les louages, le concevait. Cette réaction épidermique montre ce rejet de la modernité, mais aussi une forme de jalousie, cette femme lui volant son frère, et une peur de perdre le contrôle sur la situation, qu’il avait toujours réussi à maintenir jusqu’ici. Au fil de l’intrigue, le portrait de Phil gagne en épaisseur, passant du rustre macho, au frère possessif, et à l’homme obligé de jouer les durs pour cacher des doutes par rapport à sa propre identité. Tout cela fonctionne notamment grâce à Benedict Cumberbatch, dont le physique colle parfaitement au personnage et à une certaine idée de l’époque, qui tient parfaitement son rôle qui semblait écrit pour lui.


En réalité, tous les acteurs trouvent ici leur place, avec Kirsten Dunst en femme sensible et écrasée par le harcèlement d’un homme impitoyable, Jesse Plemons en homme empathique dans un milieu dégoulinant de machisme, ou encore Kodi Smit-McPhee dans le rôle du beau-fils famélique, paraissant inadapté à ce monde, et qui cache pourtant en lui une rudesse cultivée par des années de rejet de la part des autres. Sans être foncièrement novateur dans le propos qu’il développe, The Power of the Dog réussit dans son approche, parvenant la plupart du temps à recourir aux non-dits pour éviter les évidences, cultivant une ambiance sinistre voire mortifère qui s’accentue au fur et à mesure que l’on avance. La photographie, superbe, fait la part belle aux somptueux décors de la région, mais aussi aux intérieurs, contribuant à la création de cette atmosphère dans laquelle baigne le film, accentuée également par la musique qui convient parfaitement à la situation. En puisant dans les codes du western, Jane Campion réalise un film de très bonne facture, dont la beauté des images nous fait nous demander ce que cela aurait pu donner sur grand écran, là où ce film aurait mérité d’être découvert. Toujours est-il que s’il est aujourd’hui à portée de clic ou de télécommande, il paraît judicieux de s’y intéresser.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 6 déc. 2021

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