Un peu au détriment de l'oeuvre en elle-même, la campagne promotionnelle du nouveau film d'Alejandro Gonzales Inarritu, principalement axée sur un tournage pour le moins épique, aura cependant mis en lumière ce besoin viscérale, de la part des cinéastes comme des spectateurs, de revenir à une conception plus brute, plus organique, moins contrôlée, du cinéma, renvoyant à la grande époque d'Apocalypse Now ou de Heaven's Gate.


Très librement inspiré de faits réels survenus au XIXème siècle (et déjà adaptés dans un livre de Michael Punke et dans un film de Richard C. Sarafian), The Revenant s'inscrit donc dans cette démarche d'ultra-réalisme à tout prix. Une approche avant tout sensorielle, où l'image et le mouvement ont plus d'importance que le script en lui-même, la narration évoluant au grès des plans et des sons captés par le cinéaste.


Reprenant un vieux projet abandonné par Park Chan-Wook puis par John Hillcoat, Alejandro Gonzales Inarritu se sert ainsi de la maîtrise technique acquise grâce aux expérimentations de Birdman pour plonger son audience au coeur même d'un récit âpre et tendu, où se côtoient sans cesse violence, folie, spiritualité et religion. Poussant ses collaborateurs dans leurs ultimes retranchements, le cinéaste parvient à obtenir le meilleur d'eux-mêmes et à mener sa vision à terme, offrant un cadre à la fois majestueux, imposant et oppressant, traduisant avec force le parcours chaotique de ses personnages.


Des protagonistes bien dessinés (si l'on excepte les canadiens, caricaturaux et apparemment bien éloignés de la réalité), loin de tout manichéisme, les actes de chacun, aussi contestables soient-ils, étant dictés par ce qu'ils jugent de première nécessité, qu'il s'agisse d'accomplir une vengeance personnelle, de retrouver un proche, ou tout simplement de survivre. Des comédiens exemplaires, d'une implication ahurissante, tant physique qu'émotionnelle. Bien qu'ils méritent tous d'être cités, on retiendra principalement l'affrontement sauvage entre un Tom Hardy bouffant la pellicule en trappeur cruellement pragmatique, et la star Leonardo DiCaprio, une fois encore hallucinant en revenant coincé entre deux peuples, entre deux croyances, se faisant le bras vengeur d'une nature qu'il ira jusqu'à déifier.


Empruntant aussi bien à Terrence Malick qu'à Andreï Tarkovski ou à Michael Mann, Alejandro Gonzales Inarritu, malgré la virtuosité dont il fait preuve, ne parvient malheureusement pas toujours à digérer ses influences, noyant par instant son film sous une insistance tout sauf constructive et l'empêchant d'atteindre totalement la réussite à laquelle il aurait pu prétendre. Même constat en ce qui concerne sa volonté (toute légitime) d'atteindre un réalisme presque inédit, plus d'une fois confrontée à ses propres limites, comme le montre l'utilisation d'effets numériques dont il ne pouvait se passer.


Bien qu'il manque globalement d'originalité et de subtilité, ce croisement entre Jeremiah Johnson et Ravenous reste une véritable proposition de cinéma bien trop précieuse pour bouder son plaisir. Un survival formellement à tomber à la renverse grâce à la beauté de ses décors naturels, de sa photographie et de sa mise en scène, une oeuvre profondément spirituelle dont la fureur et le jusqu'auboutisme n'avait pas été ressenti à ce point dans un blockbuster hollywoodien depuis au moins le démentiel Apocalypto de Mel Gibson.

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le 6 mars 2016

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Gand-Alf

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