SPOILERS – De l’eau sous les ponts.

« Je suis vachement emmerdé. »
« Tu dis ça à chaque fois que tu sors d’un film. »


Elle exagère. Mais elle n’a pas tort. Il n’en reste pas moins que cette fois, c’est vraiment le cas : je suis vachement emmerdé.
C’est pas mauvais. Evidemment non. J’aimerais pouvoir dire que c’est génial. Mais je ne le penserais pas vraiment. Après autant de bons films, j’aimerais pouvoir dire qu’Inarritu signe son chef-d’œuvre, malgré le respect infini que j’ai pour Babel, ma grande admiration pour Birdman et mon (très) bon souvenir de 21 Grammes. Mais le film me laisse perplexe, me faisant hésiter entre « vraiment raté » et « l’une des plus grandes claques que j’ai jamais reçues ».


Ni l’un ni l’autre, en fin de compte. S’il y a une chose dont je suis sûr, c’est que si DiCaprio n’a pas son Oscar cette année, je ne sais vraiment pas ce qu’il lui faudra pour enfin en obtenir un. Performance majuscule de Leo, c’est entendu. Et tant qu’on y est, de tout le casting – Tom Hardy notamment, en bad guy ne révolutionnant pas le genre mais tout à fait dans son rôle dans un film splendide.


Car la photo est absolument fantastique, et le film vaut le détour rien que pour ses décors somptueux, tournés intégralement à la lumière naturelle, ce qui a fait du tournage un véritable enfer. Inarritu sait placer sa caméra, et il a le sens du « plan qui claque », ce qui se ressent tout de suite. La première demi-heure est magistrale, et renvoie en terrains connus (Birdman et son vrai-faux plan unique) avec de très longs plans-séquences là où la plupart des « Yes-men » hollywoodiens nous auraient balancé un hachis « sur-cuté ». Je me laisse emporter dans cet univers et cette histoire me rappelant énormément Jeremiah Johnson. Toute l’imagerie dégagée par l’eau est incroyable, le mixage son excellent, et je me trouve à attendre beaucoup d’un film qui se lance pour 2h20.


Mais au terme de ces 2h20, qu’est-ce qui justifie ma stupéfaction ? Le fait que le film ne semble pas répondre pas à ses propres exigences. Après une si grande impression donnée par cette volonté de filmer tout d’un seul mouvement de caméra, y compris jusque dans les dialogues (à la descente du bateau, par exemple, avec une violence dans les paroles très marquée), la dernière heure me perturbe. The Revenant, si éblouissant puisse-t-il être au premier abord, manque d’homogénéité (j’ai annoncé le spoil, je le maintiens) : le dialogue de retrouvailles entre Glass (DiCaprio) et le capitaine me parait en cela assez révélateur. Après ce qui a semblé des semaines d’errance, de combat, de retour à une forme presque d’animalité, et à la nouvelle confrontation entre deux personnages qui n’ont plus rien à voir avec ce qu’ils étaient au début du film, Inarritu se contente d’un bête champ/contre-champ pour ce qui devrait être un des dialogues les plus prenants du fil narratif.


Mon amie, m’accompagnant, se fait l’avocat du diable en décrivant ses propres sentiments : « c’est justement cette simplicité dans la mise en scène qui rend la détermination de DiCaprio encore plus glaçante. La scène fonctionne parce qu’elle semble montrer sur le ton du quotidien quelque chose d’épouvantable ». Possible, voire probable. Néanmoins, il ne me semble pas ce que soit raccord avec le début du film. C’est là mon problème avec The Revenant : à trop vouloir en faire en début de film, je me demande si Inarritu ne s’est pas un peu perdu en cours de route – que cherche-t-il à faire ? Après un seul visionnage (ce qui n’est pas assez, je le reconnais), il ne me semble pas que le film ait réussi à raconter quelque chose de grand à travers son montage, restant à un statut de prouesse technique époustouflante (réelle) mais non aboutie, et n’atteignant pas la narration propre à l’évolution des plans. Tout au long du film, je me suis demandé « Mais où va-t-il avec ça ? », et je n’ai toujours pas vraiment de réponse.


L’élément le plus marquant pour cette impression réside dans le plan final, ou ce qui aurait dû l’être. DiCaprio, dominant enfin l’homme qui a tué son fils, le laisse finalement glisser le long de la rivière pour qu’il soit tué par les Pawnees en contrebas. Glass est blessé, meurtri, et même s’il s’est vengé, suffisamment d’éléments ont été laissés pour comprendre au fil du film qu’il ne lui reste plus rien, mettant en exergue l’aspect parfaitement illusoire de cette débauche d’énergie et cette perte d’humanité. Arrive le plan qui serait parfait pour conclure une telle quête héroïque mais très vaine : le sang rouge des deux combattants sur la neige, filmé au ras du sol, la rivière en arrière-plan – cette eau qu’on ne cesse de voir depuis le début du film, symbole de la nature, mais aussi du temps qui passe, du rythme des saisons et du mouvement de la vie – impeccablement en accord avec le début du long-métrage et toute l’imagination déployée par la superbe photo de The Revenant. Pourquoi ne pas vouloir finir là-dessus, et ainsi suggérer par le symbole le suicide de DiCaprio, seule conclusion logique ? (Qui est d’ailleurs en soi ce qui est suggéré par les quelques plans suivants, mais de manière moins imaginative).


Je ne sais pas comment noter The Revenant. Je n’en attendais pas grand-chose, mais après m’avoir tant émerveillé pendant une heure, le film ne m’a plus pris aux tripes (contrairement au cheval), et je me retrouve finalement assez déçu par un ensemble que je trouve décousu - malgré des qualités réelles. Le film n’est évidemment pas mauvais, comme je l’ai déjà clarifié - et comme ma note le laisse entendre, The Revenant reste un bon film. Mais 24 heures après avoir être sorti de la salle, je ne peux pas m’empêcher de penser… tout ça pour ça ? Choqué en sortant, critique en repartant, peu emballé le lendemain. De l’eau coule sous les ponts.

SovFloyd
7
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le 28 févr. 2016

Critique lue 370 fois

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