La Beauté peut-elle être vulgaire ? Vous avez 2 heures 36 minutes...

Le film est étonnamment médiocre et ne mérite certainement pas le succès et les éloges qu’il a pu déclencher.


Ce n’est pas le tout de l’affirmer, me direz-vous. Vous avez raison. Tentons alors de dégonfler cette nouvelle baudruche.


Une précision d’abord. La photographie du film est sublime. Il y a consensus, je crois, au moins sur son aspect technique. Mais (excusez-moi, oui, déjà un mais) la beauté de cette nature sauvage a beau être magnifiquement reproduite, elle ne suffit malheureusement pas à insuffler une âme au film, faute d’être intégrée au sein d’une expérience esthétique articulée et complète.


Je dit simplement qu’un excellent chef-opérateur (doublé d’un excellent chef-décorateur, lui aussi emprunté à T. Malick) ne suffit pas à faire un film.


Quand bien même le cinéaste aurait lui aussi une bonne maîtrise technique de l’image, lui permettant d’oser s’attaquer à des plans assez complexes pour être immédiatement spectaculaires (dans son sens le moins noble), cela ne suffit toujours pas à fonder une expérience esthétique valable.


Pour cela il faut la rencontre entre cette science de l’image (que l’on ne conteste pas ici) et une pensée profonde ou tout au moins honnête (elle n’a pas besoin d’être intellectuellement très poussée) de l’Homme, du Monde, de la réalité à laquelle une oeuvre se rattache.


Car, à moins de considérer le cinéma comme un vulgaire divertissement (au même titre qu’un tour de montagnes russes ou de train fantôme) on ne peut se satisfaire de ces 2h36 de cartes postales répétitives, enchaînées à des séquences d’ultra-violence tout aussi lassantes de ressemblance.


Ce qui manque cruellement à Inárritu ici (C’était déjà la cas dans Birdman) c’est le sens de la mesure.
Pardon, ne soyons pas de mauvaise foi, la démesure véritable a ses génies. Mais Inarritu n’en est pas un. Tout au plus tente-t-il de les singer.
Nommons alors sa tare essentielle autrement: Inárritu n’a pas de pudeur. En tout cas, ll n’en montre aucune dans son « oeuvre ».


La pudeur lui aurait pourtant suggéré que le sujet de son film ne méritait certainement pas deux heures trente six minutes. La pudeur lui aurait rappelé que, quelque soit son talent, pour étirer autant un sujet si maigre, il aurait fallu avoir une once de réflexion ou de vision (personnelle ou pas, peu importe) à apporter au récit. La caution faits réels a encore permis d’esquiver l’étape écriture semble-t-il…


La pudeur, pour aborder les choses un peu plus concrètement, lui aurait commandé, par exemple, d’interrompre son faux plan-séquence lors de l’attaque du camp de trappeurs par les Arikaras. Parce qu’ici le plan-séquence n’apporte rien de juste à la scène.


Entendons-nous, dans l’absolu, le plan-séquence n’est pas une mauvaise idée en soi. De très grands cinéastes l’utilisent.


Mais une figure technique ne vaut rien si elle n’est pas articulée intelligemment avec tous les autres choix techniques de la mise en scène. La somme de ces choix fondent une pensée cinématographique. Ici la pensée est extrêmement superficielle.


En conséquence, le choix du plan-séquence vire au cauchemar:


Car pour une scène de combat extrêmement meurtrière, une caméra qui ne s’arrête jamais est une caméra qui cherche à tout montrer. Sans pudeur, on penche rapidement vers l’obscénité…


Pire, peut-être: sans pudeur, on finit par se contredire.


En effet, la condensation dans une seule unité de temps d’autant de micro-évènements a un effet exactement inverse de l’effet recherché: à savoir l’immersion totale dans l’action. La séquence a beau être extrêmement brillante techniquement, l’effet d’immersion est raté.


La caméra, à force de mobilité, de virtuosité, devient le personnage central. Ce n’est d’ailleurs pas tant sa place physique au coeur même de la bataille qui pose problème que le fait qu’elle indique en permanence au spectateur ce qu’il faut regarder. C’est peu dire que la caméra dans ces moments pointe ce qu’il y a à voir avec insistance. Et plutôt que de profiter réellement de l’immense profondeur de champs qu’offre l’usage du grand angle, afin de laisser libre le spectateur de choisir où regarder et de recomposer lui-même le triste tableau capté dans la confusion, Inarritu nous enferme dans ses très gros plans où le temps ralenti brusquement, nous traine dans ses compositions flottantes, suivant un tempo froid et calculé.
Ce temps du plan-séquence qui ne veut s’interrompre, on ne sait toujours pourquoi, oblige le metteur en scène, obnubilé par le seul aspect spectaculaire de sa séquence, à rapprocher dans le temps et l’espace des éléments épars que seuls le montage et ses ellipses pouvaient rendre crédibles. Le cinéaste, tout fasciné par sa propre audace (bien aidée là encore par l’usage massif de raccords dissimulés par ordinateurs) renforce finalement l’artificialité du plan, de la mise en scène.
La scène sonne faux. Parce que trop parfaite. Parce que trop insistante. Parce que sans pudeur.


On ne s’intéresse d’ailleurs même plus à ce qui se passe pour les personnages, réduits au rang d’accessoires dispensables dans un décors en mouvement perpétuel. On ne voit plus que la prouesse technique. La fluidité pour seul but. On ne voit plus que le type qui se regarde filmer des effets spectaculaires au lieu de s’intéresser vraiment à ce que vivent les individus dont il prétend raconter l’histoire.


La continuité imposée du plan-séquence, devient d’ailleurs pesante puisqu’Inarritu se résout finalement, à contre-sens encore, à masquer une véritable ellipse dans un pano aller-retour des plus ridicules. De la plage au ciel, retour à la plage où les Arikaras passent en quelques secondes de la poursuite des trappeurs survivants au soin des blessés et des morts.


Ainsi c’est cela le soi-disant morceau de choix du début de film ?
Une prouesse technique m’as-tu vu qui cherche l’émotion facile, dans une surenchère sanguinolente bien de son temps. Voilà à quoi est réduite l’enivrante beauté de l’Enfance d’Ivan.


Il faut encore évoquer le reste du film. D’une linéarité exemplaire. Un méchant vraiment méchant odieux veule et traitre qui finira bien châtié. Un monde complaisamment décrit comme uniquement fait de violence et de bêtise absolue mais où, par on ne sait quel miracle, tout de même, la morale est sauve…


Un personnage aussi charismatique que les cadavres qu’il refuse obstinément de rejoindre…


Personnellement j’ai beaucoup rit quand Léo assiste à l’assassinat de son fils.


Le gros plan au grand angle n’était là plus que pour nous montrer le talent de la prothésiste dentaire. Et puis j’ai pensé: mais ce type, là, attaché sur son brancard en train d’hurler comme un goret, c’est un peu le spectateur que je suis, assistant impuissant à un énième massacre du Cinéma.


Heureusement. Heureusement qu’il n’y a pas plus de dialogues. Ils sont tous superflus, redondants par rapport à l’action et répétitifs.


La musique ? Vous vous foutez de moi ? En télé on appelle ça des nappes. Chaque fois qu’elle arrive d’ailleurs c’est au pire moment. Pour souligner abondemment ce qui est déjà honteusement visible. Evidemment le sans-pudeur agit avec constance et méthode.


Le sommet de la honte, il me semble, sont les flash-backs à la prétention onirique. Ils sont tellement empruntés (pour ne pas dire spoliés) maniéristes.
Surtout, ils sont en complet décalage avec le personnage qui est censé en être l’auteur. Car, à part pousser des cris et des râles de bête poilue, Glass (Di Caprio) s’exprime peu. Il rampe, il court, il nage, et chez lui tout est lourd et pesant, parce que bassement pragmatique… On l’imagine mal habité par tant de fantaisie. Cette poésie est en décalage total aussi par rapport au reste du film tellement prosaïque.


Parce qu’autant vous le dire. Le Glass il ne se pose pas de questions. Il avance. Et il va passer une sale semaine.


Encore une fois, le personnage n’est pas inintéressant dans l’absolu. Il n’y a pas de mauvais sujet. Il n’y a que méprise du cinéaste sur son sujet. Qui confond les brutes épaisses et les poètes délicats, par le seul souci d’être reconnu comme un « artiste »… Inarritu n’apporte aucun recul quand à la vanité de la quête de son personnage. Il le suit comme un chien fidèle au lieu de prendre de la hauteur. Il ne donne rien à comprendre de cette épreuve, rien d’autre que ce que tout le monde connait déjà: la douleur ça fait mal…
Quand à ses motivations, difficile d’affirmer que la vengeance serait le seul moteur. Elle sert beaucoup plus au spectateur moyen, manifestement toujours avide de justice expéditive selon les études marketing des studios américains, à attendre patiemment la résolution annoncée de cet interminable calvaire.


Oui la survie est une situation dramatique intéressante. Mais si c’est pour se contenter d’un catalogue des recettes de Macgyver du XIXe ou de faire la collection complète de toutes les morts à éviter, cela n’a aucun intérêt.


La situation de survie, en tant qu’élément dramatique peut être intéressante à la condition qu’elle révèle quelque chose du personnage. Oui, La proximité de la mort peut provoquer les plus grands bouleversements, les plus grandes épiphanies. Mais se contenter d’une suggestion de ces thèmes à la toute dernière seconde du film (et encore au moyen d’un regard caméra totalement ridicule et insensé) est nettement insuffisant.


Des deux thèmes du films, la survie, la vengeance, aucun n’est réellement traité par un récit bien trop superficiel. Une belle surface, je vous l’accorde, mais trahie trop vite par un désintérêt total du film pour ses personnages et la complexité des situations qu’ils traversent.
Sans intérêt donc.


Pour une leçon de sobriété et de pudeur, sur un thème proche mais avec un angle beaucoup moins consensuel et un récit bien plus ambigu (donc intéressant) voyez plutôt Essential Killing de Skolimowski. Ah oui, le spectacle y est volontairement déceptif. Il ne vous flatte pas l’ego. Il n’est pas séduisant. Et c’est parfois le prix à payer pour qu’un film parvienne à autre chose qu’à nous endormir l’esprit.

antoninbenard
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le 19 juin 2016

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Antonin Bénard

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