Navet et nanar sont des mots à prendre avec des pincettes. Il existera pratiquement toujours des nuances vis-à-vis d’une réalisation, aussi conversée soit-elle. Le film de Tommy Wiseau, s’il est autorisé à exister en tant que tel, oscille entre ces deux pôles, qui soulèvent énormément de défauts. A l’image de cette mystérieuse réalisation, sortie de nulle part, l’ovni finit par se hisser au statut de culte. Sachant son étrangeté mal négociée, comment cela peut-il être possible ? Rien ne va ici, ou bien très peu d’initiatives fonctionnent. L’autoproclamé réalisateur et producteur a souhaité adapter sa pièce de théâtre, écrite dans une incompréhension totale.
L’intrigue semble insister sur une teneur dramatique, incompatible avec ce qui est montré à l’écran. Les scènes sont étirées inutilement et le cadrage propose rarement des mouvements d’immersion. On ne prend pas place auprès des personnages, on les subit davantage. Leurs dialogues ne mènent à rien, notamment dus aux initiatives de Wiseau, qui ne peut camoufler son accent, mettant clairement le doute quant à la crédibilité du script. Très souvent malaisant, le réflexe est tel qu’on en rit car il n’y a pas de guide dans le récit, décousu au plus haut point. Alors que l’intention fut d’étudier les valeurs humaines face aux émotions, le film se perd dans un élan qui ne franchit jamais la barrière du contexte ou du prologue.
Tout tourne autour du personnage de Johnny, interprété par Wiseau lui-même, laissant alors un champ libre pour en apprendre plus sur le caractère de de personne qu’il y a derrière. Tout porte à croire en cet homme exceptionnel, ce qui ne lui rend pas totalement justice car cela se retourne rapidement contre lui. Il n’y rien qu’on puisse évoquer qui l’aidera à se repentir. Désespérément fiancé et amoureux de Lisa (Juliette Danielle), il porte en lui l’image d’un saint, homme à tout régler par sa générosité et son empathie. Il passe pour le meilleur mari, le meilleur ami et la meilleure figure paternelle. Or, la cohabitation avec son ami Mark (Greg Sestero) entraine de la jalousie. Et c’est Lisa qui en profite, manipulant sans scrupule pour des enjeux qui n’évolueront pas pendant toute l’histoire. De même, le personnage de Denny (Philip Haldiman) est aussi absurde que toute les transitions et la consistance scénaristique qui ne font qu’appuyer le carnage qu’a laissé le réalisateur derrière lui. Avant d’être hilarant, d’une certaine façon, le film se veut provocateur. Il incombe à chacun d’exploiter sa curiosité afin de mieux cerner la maladresse qui a donné suite à ce nanar, à la fois glauque et difficile à suivre.
Wiseau et son ambition de s’installer dans le décor Hollywoodien n’est qu’un mythe qu’il souhaite enterrer, mais la nature du projet fut sérieuse. Accompagné d’une équipe, constamment substituée et malmenée, il s’illustre comme le seul spécimen voulant apprendre à nager dans un récipient à la fois vide et trop juste pour qu’il prenne place. « The Room » est tout de même un plaisir coupable pour les cinéphiles en quête d’analyse. Sa structure incohérente est une véritable leçon, car les codes sont si bien négligés qu’on se permet de tirer quelque chose de l’absurdité qui en découle. C’est à se demander où ont réellement fini les financements du projet, car le décor à lui seul peut justifier toute la qualité risible de cette non-histoire. Que ce soit sur le plan technique ou sur n’importe quel autre niveau d’engagement, on ne peut se raccrocher qu’à notre subjectivité, bien fragilisée à la sortie d’un visionnage perturbant.