Petit chez-d'oeuvre d'incompétence artistique et d'égo si surdimensionné que ça en devient malsain. The Room, si vous visualisez vraiment pas le truc, c'est un épisode d'Amour Gloire et Beauté qui a couté 6 millions en prod et le double en promotion, dont le tournage anarchique s'est étalé sur des mois et des mois. Etonnant, épatant même, pour un simple mélodrame aux acteurs inconnus et dont l'action se limite à deux décors (à savoir: le salon de Johnny, et sa terrasse).
Tout a été dit sur The Room, tout. Et ce coup ci, contrairement à la citation de John Ford, la réalité a dépassé la légende. Depuis son tournage invraisemblable à faire passer celui d'Apocalypse Now pour une colonie de vacances, à la nullité de ses acteurs. De sa jaquette creepy comme pas possible à son scénario mongoloïde visiblement écrit par un enfant de 6 ans atteint d'un retard mental (eh ben c'est l'histoire d'un mec, eh ben sa femme c'est une pute et ben elle le trompe et voila).
Sans parler de tous ses gimmicks cultes tous plus roomesques les uns des autres: sa construction en vaudeville branquignol avec ses personnages qui débarquent constamment comme un cheveu sur la soupe, ses trois cent cinquante portes ouvertes et "Oh hi Mark!" qui délimitent quasi chaque scène. Son prologue hallucinant qui compile en 25mn pas moins de 3 scènes de sexe kitsch contenant tous les clichés imaginables de la chose et qui durent toutes pas moins de 5mn; les dialogues creux et chaotiques tout à la fois, écrits à la va comme je te pousse et marmonnés par des acteurs visiblement très génés d'être là, ponctuant la moitié des dialogues par des "hin hin hin" pincés. Les retournements de situation débilissimes, les éléments de scénar' saugrenus qui surgissent tels une fanfare dans un enterrement et qui ne reviennent plus jamais dans le récit (Danny menacé de mort par un trafiquant de drogue, le cancer du sein de la grand-mère). Les invraisemblables fonds verts dégueulasses pour les extérieurs... Et bien sûr: le potentiel de freak inouï de son démiurge Tommy Wiseau, génie autoproclamé (voyez comme son rôle est égréné de références à James Dean et Orson Welles, rien que ça) visiblement atteint d'un certain nombre de troubles mentaux mais qui se croit pourtant tout à fait crédible dans le rôle du gendre idéal employé de banque, alors qu'il a plutôt une gueule burinée de gérant de sex-shop et les longs cheveux gras d'un catcheur à la retraite, ainsi que la diction d'un Jesse Pinkman venant de se faire arracher une dent.
Tout ça, vous le savez. Et ça suffit largement en soi à faire de The Room un trip surréaliste, panégyrique du goût de chiottes et véritable jeu de chasse ludique aux faux-raccords, une dinguerie généralisée souvent drôle et malaisante, mal foutue de A à Z à un point que c'en est incroyable que le film ait finit par sortir un jour. Regarder The Room, c'est s'attendre à subir une inversion de vos valeurs émotionnelles de spectateur: on s'esclaffe devant les scènes dramatiques, et on frissonne de gêne devant les scènes censées être drôles ou détendues. Bref, voila une sorte d'aperçu de ce que les States seraient capables de nous pondre si on les laissait faire des films d'auteur romantiques.
Mais là où Room devient malsain, c'est dans l'image de lui-même que semble vouloir offrir au monde ce weirdo de Tommy Wiseau. Regardez-le, semble nous hurler dessus le film: comme c'est un chic type, généreux, amical, accueillant, bon amant, gendre idéal et ami sincère, apportant à ses proches sans compter sécurité financière, bouquets de fleurs et tapes viriles sur l'épaule. Un homme parfait, trahi par ses amis, par sa femme, sans raison. Quel pauvre diable. La caricature en devient ridicule, déplaisante, et la personnalité de Wiseau se dévoile être non seulement dérangée, mais profondément antipathique. Et son film, l'expression d'une frustration générale et assez gratuite, s'achevant comme il se doit sur une posture christique de derrière les fagots. Voila ce qui, pour ma part, a un poil entaché le capital sympathie nanardesque de ce film. Enfin, de ce truc, quoi.