De Losey, je n’avais jusqu’alors vu que La Bête s’éveille qui était loin de me laisser un souvenir impérissable, et dans lequel on retrouve quelques éléments qui font de cet opus une version bien plus aboutie sur les relations de pouvoir, l’enfer pavé de bonnes intentions et la versatilité des individus.
The Servant est, dès son entrée en matière, un film sur le faux semblant, une sorte de carnavalesque qui aurait oublié d’en rire. La présentation des personnages sème d’emblée le doute sur l’origine sociale de chacun, et instaure une sape des statuts définis. Le récit, habilement mené dans sa progressive destruction, n’évite pas certaines simagrées et occasionne une débauche d’effets visuels qui ne sont pas toujours des plus subtils, mais qui fascinent assurément et reprennent en cela l’excès à l’œuvre dans les comportements étudiés. Effets d’anamorphose dans les miroirs sphériques, visages en gros plans, postures ostentatoires des couples sur la table ou le fauteuil désarticulent le flegme britannique et font des personnages des pantins outrés, se livrant à la débauche, la manipulation ou la servitude volontaire.
C’est surtout dans la gestion de l’espace que Losey investit le malaise qu’il veut conférer à sa mise en scène. Au centre de cette bâtisse qui matérialise la lutte des classes par la distribution des étages, l’escalier est l’enjeu de toutes les luttes. On ne cesse de le gravir ou d’y chuter, on s’y dispute, on y joue aussi, l’air de rien, pour tromper l’ennui ou enferrer sa proie.
Si le film fonctionne, c’est finalement dans sa capacité à rester opaque malgré l’évidence des renversements qu’il propose. Une lecture sociale ou crapuleuse ne suffit pas, et l’analyse homosexuelle n’est qu’un des pans envisageables, notamment grâce au rôle structurant des femmes dans les enjeux du récit. Le travail sur l’arrière-plan, l’appréhension kaléidoscopique d’une salle de restaurant ou les jeux de mouvements de caméra posent un regard insidieux et presque expressionniste qui dépasse les apparences guindées et les décapent au profit d’un malaise mêlé de plaisir… paradoxe évident dans cette descente aux enfers qui gravit les marches de la perversion.


(7.5/10)

Sergent_Pepper
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Plastique et formaliste, Psychologique, Social, Thriller et Merci la médiathèque

Créée

le 14 sept. 2015

Critique lue 1.3K fois

38 j'aime

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 1.3K fois

38

D'autres avis sur The Servant

The Servant
Sergent_Pepper
8

Vol avec escalier.

De Losey, je n’avais jusqu’alors vu que La Bête s’éveille qui était loin de me laisser un souvenir impérissable, et dans lequel on retrouve quelques éléments qui font de cet opus une version bien...

le 14 sept. 2015

38 j'aime

The Servant
JZD
8

Bien sapé.

Tony, est un beau, jeune, blond et riche jeune homme, aristo moderne et infiniment anglais, traine depuis un moment au bord de la crise de nerf. Il aime avec flegme une jeune femme de son milieu et...

le 10 août 2012

35 j'aime

5

The Servant
oso
8

Iznogoud sournois

En filmant l’inversion du rapport de force entre un riche bourgeois et son valet, Joseph Losey illustre avec vice et violence le pire de la nature humaine, sa quête de désir, sa recherche constante...

Par

le 14 oct. 2014

25 j'aime

1

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

700 j'aime

49

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53