Le passionnant récit d'une relation de forces inversée. [Attention, spoilers.]

Le résumé, de prime abord, laissait entrevoir un film décrivant la prise de pouvoir d'un majordome (serviteur ? Valet ? Moui, comme vous voulez.) sur la maison qu'il servait.
Ceci, en soi, me plaisait déjà beaucoup : j'adore me perdre dans les détails d'une évolution, j'aime quand c'est soigneusement décrit, j'aime comprendre les mécanismes d'une histoire et qu'en plus, ce soit crédible. Le film, de ce côté-là, remplit avec brio son contrat, et on voit très bien les rôles s'inverser peu à peu. Notre valet devient maître, notre maître devient un instrument, un jouet complètement soumis.

Mais il n'y a pas que ça. Car le film a pour soi de nombreux rebondissements, maintenant une certaine tension (de nature sexuelle ou pas, d'ailleurs) : où est la réalité ? Qui manipule qui ? Grâce à l'entrée en jeu d'une tierce personne. On se retrouve en fait face à un duo de manipulateurs, et l'ambiguïté est présente jusqu'à la toute fin du film, résolue implicitement.

Les personnages sont complexes, et en cela brillamment portés par leurs acteurs : Dirk Bogarde est juste parfait en Barrett (le majordome), on le devine intelligent, ironique, poli mais libre, lucide, et parfois même son désespoir n'a pas l'air feint et son libertinage a l'air de l'être. Tout en ambivalence, donc. Un très grand rôle. Sa compagne de crime Sarah Miles en Vera est également très convaincante en fausse ingénue, et en plus elle est très belle. James Fox est la victime idéale, et Wendy Craig révèle à la fin du film de vraies subtilités et ressources, avec un personnage plus fouillé qu'on eût pu le croire. Je n'ai qu'un seul reproche à faire aux deux derniers acteurs/personnages cités : parfois, la tragédie ou les poses amoureuses sont un peu surjouées, mais c'était peut-être à la mode, à l'époque.

Il y a aussi une certaine esthétique dans ce film, avec des plans magnifiques ou ingénieux, et autres petites originalités, et je me suis laissée emporter d'autant plus facilement dans l'univers du séduisant goujat donnant son nom au film. Il faut aussi signaler le thème de l'amour et du sexe, qui est primordial dans l'oeuvre et qui régit en surface ou non les liens des différents protagonistes entre eux.
Enfin, dédicace à la magnifique fin, entre déchéance et victoire.

Un classique à voir absolument.
Eggdoll
9
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le 11 août 2011

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Eggdoll

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