The Shaman Sorceress
5.3
The Shaman Sorceress

Long-métrage d'animation de An Jae-hoon (2018)

C'est toujours avec un grand intérêt que je regarde le travail du studio Meditations with a Pencil dont Ahn Jae-hoon est le chef de file. Malheureusement, les films ne rencontrant qu'un succès restreint en Corée, ils sont donc cantonnés à quelques festivals par-ci, par-là. On peut l'expliquer cela par la façon dont le studio à l'habitude de travailler : une animation léchée et des traitements qui détonnent dans un paysage souvent plat.


Choisissant d'adapter un roman acclamé, Ahn Jae-hoon place le récit dans une Corée du XX ème siècle en proie à une marche forcée vers une modernité de plus en plus galopante. Il est intéressant de relever deux choix narratifs forts : la non-linéarité du récit ainsi que l'utilisation de passages chantés. La majeure partie du film est en fait constitué de plusieurs flashbacks le tout ficelé par un narrateur omniscient qui organise l'histoire. Se déroulant se plusieurs années, le récit s'offre quelques ellipses qui renforcent l'aspect onirique du film. En effet, les pièces s'assemblent morceaux par morceaux pour laisser entrevoir, au fur et à mesure que le conte se déroule, les enjeux globaux. Il y a toutefois beaucoup d'éléments qui sont laissés à l'appréciation du spectateur. Paresse du film ou bien volonté de laisser l'imaginaire de chacun s'exprimer ? Difficile à dire.
La musique occupe une place centrale et certaines séquences importantes utilisent une mise en scène chantée. Si la partie orchestrale reste très belle, j’émets certaines réserves en ce qui concerne le texte en lui-même. Peut-être est-ce lié à la traduction ou bien le style, mais les paroles m'ont apparu comme niaises. Très présentes au début, elles s'effacent un peu lorsque la narration avance pour revenir vers la conclusion. On est donc loin du modèle de la comédie musicale. De façon intéressante, il semblerait que l'on passe à une musique typiquement traditionnelle pour finir sur des arrangements plus occidentaux sur la fin (mais je n'en suis pas sûr, j'aurais dû mieux tendre l'oreille). Cela étant dit, je trouve quand même ce choix pertinent dans The Shaman Sorceress car cela fait écho à la musicalité des rites shamaniques coréens. Ainsi, contrairement aux Disney, il ne s'agit pas d'avoir des chansons pour le côté vendeur mais parce qu'il y a là un vrai intérêt diégétique.


L'histoire se focalise sur Mohwa, mudang et mère de deux enfants dont les pères sont absents. Il s'agit là d'un choix fort pour une femme dans le contexte de l'époque et la plaçant de facto dans une situation marginale par rapport au reste société, à l'image de sa maison reculée. Il en va de même pour la naissance de son premier enfant, "conçu avec amour" mais dont l'éducation sera finalement confiée à un temple par Mohwa ne voulant pas que son fils ait une vie trop frugal. Cette séparation sera décisive et aura un impact déterminent sur chacun des protagonistes. En effet, bien des années plus tard, le retour du fils prodigue sera l'occasion de mettre les croyance de chacun à l'épreuve du feu. Incarnant la modernité des villes face à une campagne encore féodale (si bien qu'on penserait que l'action se déroulait il y a plusieurs siècles), cette dichotomie entre tradition et concepts nouveaux occupera désormais une place cardinale dans le récit.


L'animation est magnifique et nous emporte avec elle dans ce recoin du monde. Chatoyante et bariolée, celle-ci sied à merveille au récit. Il est intéressant de constater que les personnages ainsi que les décors semblent être animés d'une façon complétement différente. En effet, ces-derniers sont détaillés mais restent immobiles à la différence des personnages qui sont les seuls à bouger mais n'ont pas beaucoup d'expression faciales. Ainsi, il ya juste les mouvements panoramiques de la caméra pour apporter un peu d'amplitude à des paysages fixes.


Ambitieux, risqué, mais très soigné, c'est une œuvre aux qualités picturales indéniables que signe le studio Meditations with a Pencil encore une fois. Cependant, les ambitions du récit se heurtent parfois à une compréhension difficile des enjeux.

Alcalin
6
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le 20 juin 2020

Critique lue 212 fois

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Alcalin

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