William Eubank a un gros défaut : c'est un fieffé prétentieux. Un de ces boursouflés du ciboulot qui se pensent meilleurs que les autres et qui plastronnent à tours de manivelle et de "silence on tourne"... ce qui lui vaut, à juste titre, les foudres du grand internet et de son intelligentsia, jusque sur Sens Critique. Rendez-vous compte : il a l'arrogance de vouloir raconter une histoire, une vraie, qu'il a écrite lui-même - avec plus ou moins d'adresse, mais c'est un autre débat -, et qui ne se contenterait pas d'aller du point A au point B en prenant l'autoroute. Comme si Môssieur Eubank n'était pas assez bien pour les pan-pan-boum-boum ! Ha ça, quelle prétention !


A l'heure où Del Toro triomphe avec Pacific Rim, où Miller éblouit avec Mad Max Road Fury, où J.J. Abrahms émerveille avec Star Toc, où Blomkamp révolutionne avec un remake nipponisant d'Appelez-moi Johnny 5 et où Luc Besson fait salle comble avec Lucy (démontrant par l'exemple que le scénario n'est plus qu'un vestige d'une ère créative révolue), au nom de quoi un jeune blanc-bec venu de nulle part, avec le budget d'un camion citerne, peut-il se croire meilleur que tous ces Grands et faire ce qu'on n'attend plus d'eux depuis qu'ils ont signé à Hollywood : du cinéma ?


Le gant du réalisateur est jeté, la joue du spectateur en chauffe encore, avec des marques à trois doigts sur sa joue endolorie.


Le verdict est inévitable : une note de 2 à 4, selon qu'on a ou non payé pour visionner.
Parce qu'Eubank n'est pas le seul à avoir un gros défaut, figurez-vous. L'internaute lambda supporte assez mal qu'on se joue de lui, qu'on le malmène ou qu'on s'amuse de ses attentes. S'il ne comprend pas un film, il n'y a pas à tortiller : c'est que le film est mauvais, point barre, le problème ne peut pas venir de lui, allons, allons, soyons sérieux ! Il a parfaitement compris qu'il n'y avait rien à comprendre, se rassure-t-il à longueur de chroniques, comptant sur son prochain pour lui donner raison et le conforter dans son opinion. Jamais il n'admettra qu'il est peut-être passé à côté, qu'il n'est peut-être pas fait pour ce genre de productions ou que la fin l'a pris de court. Il a trop le melon pour ça. Aussi se contentera-t-il de citer deux ou trois termes cinématographiques bateau pour se donner une contenance, puis achèvera-t-il de se ridiculiser en livrant un résumé de l'oeuvre qui, mieux que tout aveu explicite, prouvera son incompréhension - au point d'arriver à être plus incohérent que le film lui-même.


Car oui, soyons honnête, The Signal n'est pas une grande réussite. On n'en attendait d'ailleurs pas tant. Avant lui, on a vu Time Space, on en garde un souvenir amer. On sait qu'Eubank a un vrai potentiel, mais aussi toute une galaxie d'obstacles intérieurs à surmonter. On lui en veut encore d'être passé aussi près du chef d'oeuvre pour se contenter d'une parabole indé classique et mollassonne.


Pas de surprise, hélas : The Signal possède les qualités comme les défauts de son prédécesseur, en plus vendeur. Eubank a le sens de l'image, c'est certain - un sens quasi-musical, une sensibilité toute personnelle qui lui permet de sublimer ses séquences façon vidéoclip : visions, flashbacks, parenthèses "road movie". A contrario, il est tout de suite moins à l'aise quand il s'agit de raconter une véritable histoire, que ce soit sur l'écran ou sur papier.


Time Space avait tout ce qu'il fallait pour donner naissance à un 2001 puissance 1000, mais n'en aura rien exploité, ou si peu, laissant l'impression d'un film dont l'ampleur aura fini par effrayer son géniteur. En cela, The Signal y ressemble un peu, et même un peu trop. Quand on gratte la surface - l'égratigner suffit -, on réalise qu'il n'en constitue qu'une version plus divertissante, plus hollywoodienne, plus orientée "grand public" : dans son propos comme dans ses thématiques, il ne fait que redire ce que son grand frère avait bredouillé avec, paradoxalement, plus d'élégance et d'audace.


C'est finalement le gros problème de ce Signal qui nous rejoue une partition connue, de manière plus conventionnelle, sans rien apporter de nouveau. Si Time Space était desservi par une retenue incompréhensible, contre-nature, on était en droit d'espérer que le réalisateur s'en départirait avec le temps, l'expérience, la confiance ; au lieu de quoi donne-t-il l'impression d'avoir fait deux pas en arrière... si bien que la fausse complexité de l'intrigue déçoit inévitablement. Trop d'emprunts aux classiques du cinéma de genre, quand bien même sont-ils explicitement revendiqués comme tels (le poisson rouge de Dark City, la route de Thirteenth Floor, les mutations de District Nine jusqu'au Morpheus de Matrix - en mode économie d'énergie, comme à sa crispante habitude...), trop de faux détours sur cette grande ligne droite déjà parcourue en long comme en large.


Bien sûr, arrivé à destination, on fronce les sourcils, on proteste, on lutte pour retenir un honteux "qu'est-ce que c'est que ce bin's ?" (pour peu qu'on ait eu le bon goût d'éviter la bande annonce). Il faut alors prendre un moment pour remettre les pièces du puzzle à leur place, les réenvisager dans leur globalité, se refaire le film dans sa tête, quitte à risquer un début de nuit blanche... mais avec un peu de patience, un peu d'humilité, on y parvient sans trop de peine, un brin désappointé par le manque d'ambition de ce projet pourtant très ambitieux. Comme si, une fois encore, quelque chose avait retenu son auteur d'aller au bout de son idée. Ou plutôt : comme si le conflit intérieur de son personnage principal était aussi le sien, coeur contre raison, et s'il tentait de le surmonter symboliquement à travers lui.


Sans y parvenir véritablement.


*


Et pour celles et ceux, donc, qui n'ont pas de temps à perdre avec les puzzles...
Spoiler alert, comme on dit.


Le personnage principal a été enlevé par des aliens, qui l'ont choisi pour ses facultés intellectuelles et ont profité de son infirmité pour se livrer sur lui à des expériences de compatibilité entre les deux espèces. Afin de lui permettre d'accepter ce changement (et ce, sans perdre ni la raison, ni son humanité), de surmonter son traumatisme et d'accepter le twist final, il est placé sous stase dans une réalité parallèle virtuelle, au sein de laquelle on le confronte à des évènements à forte charge émotionnelle destinés à 1) renforcer son identité humaine 2) tester les limites de sa volonté 3) l'amener à dépasser la première grâce à la seconde. Il n'y a pas d'ennemi, pas de danger réel. Damon est l'I.A. qui gère cette réalité alternée. Il s'efforce de comprendre son pensionnaire et d'appuyer sur les bons "boutons" psychologiques afin de lui permettre d'évoluer dans le bon sens. Il ne veut pas particulièrement l'empêcher de s'évader, au contraire : son but est qu'il arrive à passer de l'autre côté du miroir, mais par la force de sa seule volonté. Pour cela, il s'efforce de dresser suffisamment d'obstacles sur son chemin pour l'amener à se dépasser, mais tout en veillant à ce qu'ils ne l'arrêtent pas. Raison pour laquelle tout paraît si simple : tout est scripté, mais de façon à ce que le protagoniste ne s'en aperçoive pas. Il veut Haley ? On lui donne Haley, on observe sa réaction. Il veut qu'Haley se réveille ? Idem. Il veut s'enfuir avec elle ? Itou. Cette Haley n'est pas réelle, pas plus que la dame à l'auto ou le chauffeur poids lourd. Ce sont des parties du programme, de la simulation : des données corrompues au contact de Nic et de sa "volonté humaine", qui les renvoie à leur propre non-humanité. Ce que Nic est susceptible de véhiculer, ce n'est pas un virus au sens biologique du terme, mais au sens informatique. Ce qui peut détruire cette fausse réalité qui lui sert de cocon, d'aquarium, et lui permettre de sortir de sa caverne Platonicienne pour affronter ce que lui réserve le monde réel. C'est ce que Damon attend de lui, mais à la seule condition qu'il soit prêt. D'où son sourire final.
Les deux seules vraies questions qui subsistent à la fin du film sont : "quel est le but des aliens ?" et "Jonah était-il réel, lui aussi, ou bien faisait-il également partie de la simulation ?".

Liehd
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le 4 oct. 2015

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Liehd

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