Les films de Larry Clark ont permis la découverte d’un certain nombre de jeunes talents plutôt arty tels que Chloë Sevigny, Rosario Dawson ou encore Michael Pitt, et avec son premier film Kids, a vraisemblablement mis sur orbite Harmony Korine , son scénariste, qui depuis a livré entre autres le très beau Spring breakers.

Son travail jusque-là est cohérent et plein de sens, montrant des jeunes confrontés à une réalité compliquée (le sida et la drogue dans Kids, l’assassinat d’un autre jeune dans Bully, un film aux airs de revenge movie se basant sur des faits réels, l’inceste dans Ken Park ou encore la ghettoïsation des jeunes latino de la banlieue de Los Angeles dans Wassup rockers, son plus beau film à ce jour). Le travail pointe la noirceur du monde des adultes et la nécessité pour les jeunes de rester groupés et entre eux, au mieux dans le cadre d’une saine activité comme le skateboard, au pire dans la consommation de drogues et dans différentes expériences sexuelles limite.

Un travail cohérent, même s’il est interpellant dans sa frontalité, largement autobiographique dans ce qu’il fait écho à sa propre jeunesse baignée de sexe, de drogue et de rock and roll. Un travail radical et sans concession, censuré dans bon nombre de pays, regorgeant de scènes explicites et plus ou moins dérangeantes, mais une œuvre qui a fait sens jusque-là.

Jusque-là, car dans ce nouveau film, « The smell of us », rien ne va plus. Quand Larry Clark choisit de s’intéresser de près à la jeunesse parisienne, le contenu social de son cinéma n’est plus lisible et les provocations multiples deviennent des coquilles vides ennuyeuses, répétitives et malsaines. Ayant mûri ce projet dit-il depuis son passage en France lors de la sélection de Kids au Festival de Cannes, il a franchi le pas, dans un contexte de tournage cauchemardesque, avec des acteurs en grève et d’autres comme Lukas Ionesco, le personnage principal, qui en gardent jusqu’à ce jour encore un traumatisme violent. Son projet a dû sans doute s’appuyer sur l’idée d’une certaine liberté en France, d’une certaine liberté d’expression comme on a pu en avoir la preuve dans ces tous premiers et funestes jours de Janvier 2015, de la possibilité encore d’aller où on veut sans subir la censure, la bien-pensance anglo-saxonne, l’opprobre moral…Seulement voilà, ce qui a marché dans un contexte californien ou new-yorkais ne fonctionne pas du tout à Paris, ce qui a touché avec les scénarios d’Harmony Korine ne résonne pas avec celui de son scénariste français Mathieu Landais , alias Scribe.

Le voilà donc, Larry Clark parmi une bande de skaters, sur une Place de Trocadéro déserte, payant de sa personne la défection de Pete Doherty pour le rôle de Rockstar, un homme déchu, vautré dans sa propre urine, couvert de sa propre bave avinée, ivre et abruti de sa médiocrité, sur lequel les jeunes skaters font des figures, et qui finit par ramper tel un ver pour sortir de leur trajectoire. Dès images terribles dès la première séquence, mais des images qui ne fonctionnent pas. La séquence ressemble davantage à une performance qu’à une vraie séquence de vie, les jeunes semblent s’ennuyer, les personnages certes, puisque c’est inscrit dans le récit, mais aussi les acteurs, ce qui est nettement plus problématique. Même la belle prestation de Michael Pitt comme chanteur de rue grunge (comme en écho à son rôle de Blake/Kurt Cobain dans Last days de Gus van Sant) ne parvient pas à animer l’ensemble.

Rockstar aime s’entourer d’un groupe composé de beaucoup de jeunes garçons et d’une jeune fille, des jeunes censés être à la dérive, les uns jouant les escort boys dans une veine homoérotique assez prononcée, et l’une se morfondant, personne ne voulant coucher avec elle car « on est en 2013, tout le monde est gay ». De fait, tout le monde couche avec des hommes vieux et/ou des femmes flétries, pour quelques grosses poignées d’Euros. Larry Clark lui-même joue le vieux pervers fétichiste, en reprenant cette fois-ci le rôle de Bouli Lanners pressenti mais tombé malade au moment du tournage. De jeunes fils à papa qui se prostituent donc, alors que le besoin d’argent n’est pas flagrant, des jeunes dont on renifle la nuque avec avidité ou dont on lèche les orteils avec des grognements plus bestiaux que suggestifs, entrecoupés de « Mon petit garçooonnne » à la limite de la pédophilie. Des scènes inutiles et éprouvantes, car tournant à vide, sans aucun sens à leur donner. Des scènes d’un réalisateur qui a l’air lassé par son propre sujet si ce n’est son propre cinéma.

Larry Clark introduit dans son dispositif un personnage qui filme tout avec son smartphone, un personnage qui n’est pas sans rappeler le jeune Larry Clark photographiant ses camarades de Tulsa en train de se droguer ou de faire l’amour, ou de se droguer en faisant l’amour (cf les livres Tulsa & Teenage lust). Le personnage d’un voyeur dans un film de voyeur, et la boucle est bouclée…

Seule une séquence hallucinée avec Dominique Frot, extraordinaire dans l’abjection de son personnage de mère monstrueuse engendre quelques frémissements, l’illusion d’une vérité dans le film de Larry Clark. Pour le reste, on reste complètement à la marge, désolé pour un réalisateur qui n’est plus que l’ombre de lui-même et en même temps furieux de la manipulation de ses jeunes acteurs qui sourd de son film. Un mauvais film à oublier bien vite, en espérant qu’il ne sera pas la triste conclusion d’une filmographie singulière et intéressante.
Bea_Dls
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le 19 janv. 2015

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Bea Dls

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