The Strangers de Na Hong-jin est le film-coréen-façon-nouvelle-vague-coréenne-des-années-2000 (qui n’est donc plus si nouvelle) type de cette année. Alors que les héros du mouvement s’attelant, depuis la libération des mœurs en Corée du Sud, à revisiter le cinéma de genre dans un style grandiloquent en multipliant les tendres hommages aux pionniers des polars, westerns et autres fantastiques, ont, pour la plupart, fait un détour aux Etats-Unis avec plus ou moins de succès (Snowpiercer, chef-d’œuvre, Stoker, mitigé et The last standing, mauvaise réputation – mais je ne l’ai pas vu), Na Hong-jin, le petit nouveau, continue son parcours dans les terres d’Asie. En restant dans son pays, Na Hong-jin semble aussi persister avec les codes et leitmotiv de ce cinéma. Hommage un peu trop rapide ? Ou chute terrible dans le copier-coller ? On ne peut vraiment répondre à cette question, mais ce qui fait que The Strangers est un film si bancale, si prévisible, avec une âcre odeur de réchauffé, c’est bien son manque total et flagrant d’originalité, noyé dans quelques bonnes idées, parfois aussi brillantes que superficielles. Analysons cela un peu plus en profondeur, mais j’annonce d’ores et déjà qu’il y aura du spoil dans cette critique car il me semble difficile de décortiquer un film qui tient et pêche tant par son scénario sans tout dévoiler.


L’intrigue commence dans la Corée rurale avec le meurtre d’un vieil homme et de sa femme. Un policier un peu bête va ainsi mener l’enquête dans son village et celle-ci va l’emmener, lui et son équipe, dans une surenchère de bizarreries, de mystères et de zombis. Tout ceci sent un peu le Memories of Murder, polar absolument culte du collègue Bong Joon-ho qui a tout explosé par sa virtuosité incontestable. Et non je ne me la joue pas Jean-Michel Tatillon, The Strangers semble ostensiblement voguer sur le fantôme du triomphe de 2004, par l’utilisation d’un petit village tout à fait perdu et campagnard, et par son personnage principal, un flic avec un peu d’embonpoint, très simplet, attaché à sa vie de famille rangée. Les deux personnages se ressemblent tant qu’il est presque étonnant que ce ne soit pas encore Song Kang-ho qui joue ici tant qu’à pousser le vice et l’inspiration jusqu’au bout. Mon sourcil de spectatrice circonspecte s’est donc très vite levé mais, ne jugeons pas la peau de l’ours juste parce qu’il a la même que son voisin, et voyons si le film arrive à sortir de son marasme de déjà-vu.


L’originalité du produit est d’introduire dans ce qui aurait pu être une enquête tout à fait classique des fantômes, des sorciers, des zombis, afin de prétendre sortir des carcans en faisant un Walkind Dead coréen. Toute ironie mesquine mise à part, ce qui était au départ une excellente idée, se transforme vite en prétexte pour du guignolesque. Pourquoi faire une scène chamanique si longue et si bruyante ? Pourquoi faire autant hurler cette fillette ? Pourquoi allonger encore et encore le film avec des scènes plus ou moins pertinentes ? Tout devient trop, que ce soit les meurtres qui s’enchaînent, l’humour forcé qui reprend la recette de Memories of Murder (encore !), ou les retournements de situations inutiles de la fin. Alors que Bong Joon-ho rendait le décalage de ses personnes amusant grâce à un thriller en sommes assez sobre et une mise en scène brillante et faussement simple, Na Hong-jin rend le tout assez lourd-dingue, car dans son scénario too much, ses blagues de rôts, de pets et de vomis sont juste grasses. Si le film joue parfois avec son ambiance de farce (la scène où le « zombi » finit troué par un râteau est évidemment assez ironique et maligne), il s’avère être finalement très, voire trop, premier degré, s’abandonnant dans la gravité et non dans la parodie. Pourtant par son utilisation abusive des codes que nous avons vu milles fois et par ses séquences boursoufflées, il devient une quand même une parodie de film coréen non-intentionnelle et donc bien moins intelligente que celle que va nous sortir (j’ai eu la chance de le voir à Cannes) Yeon Sang-ho et son Dernier train pour Busan.
Parlons de la fin qui a définitivement anéanti tout ce que j’avais trouvé pour sauver ce film qui me paressait déjà plutôt pénible (mais après tout ce n’est pas un drame, certaines œuvres sont bien insupportables délibérément). Le film tente un retournement de situation en nous faisant croire que « celui qui est le méchant est en fait pas le méchant mais c’est la fille qu’on a vu il y a plus de deux heures durant cinq minutes ». Un « twist » n’a pas ou juste peu d’impact lorsqu’il prend appui sur un personnage dont on se fiche éperdument, il faut le savoir c’est essentiel à un bon retournement de situation. Mais je me dis que finalement le film veut peut-être par ce twist dénoncer le racisme (le méchant depuis le début est juste dénommé Le Japonais) des petits villages et de ses habitants qui ostracisent les étrangers et font courir sur eux beaucoup de rumeurs. Ou peut-être que le film veut raconter la superstition religieuse des campagnards qui s’abandonnent à des croyances excessives et irrationnelles, peut-être qu’il n’y a pas vraiment de sorcier que tout n’était que les champignons brièvement évoquer et qu’ils ont honteusement tuer un innocent… Ah mais en fait non. Second retournement de situation, le méchant est bien le méchant, et le chaman dont on se fout aussi puisqu’il n’a servi à rien d’autres qu’à danser en hurlant jusque-là, est son complice. The Strangers aurait pu dans sa scène finale semer le doute dans l’esprit du spectateur, mais il a préféré un montage parallèle montrant bien qui est le vrai sorcier. Le double retournement de situation apparaît donc comme bien superficiel puisqu’il ne change rien et n’a pas d’impact autre que celui de créer une ironie dramatique. J’aurais préféré avoir le doute plutôt que de voir cette dernière séquence s’étendre et s’étendre inlassablement vers une issue qui n’est donc même plus une surprise. Enfin, le film passe son temps à parler de fantômes, il commence même par une citation de la bible à ce sujet, finit avec cette même citation, pour nous dévoiler… Le Diable. C’est lourd et surtout, ça ne sort de nulle part.


Alors la morale dans tout ça ? La mal absolu ? Que chacun porte en lui le mal, la petite fille, son père, ta mère ? Sujet hélas un peu trop exploité encore et encore par ses contemporains entre OldBoy qui réfléchit à la figure du monstre, Snowpiercer qui métaphorise une société pourrie d’un bout à l’autre, J’ai rencontré le Diable montrant la vacuité de la violence sanglante, Memories of Murder prouvant que même le plus intègre des policiers peut sombrer, etc. La liste est longue. Que sauver ? La figure du père qui se bat pour sa gamine face à une situation qui le dépasse ? Mais n’est-ce pas presque exactement l’enjeu de The Host de Bong Joon-ho à nouveau ?


The Strangers a quand même de son côté une photographie magnifique et des idées visuelles très efficaces et intelligentes (mention spéciale à l’invisibilité de l’homme caché derrière la falaise grâce à un effet optique). La tension marche parfois très bien et les références religieuses sont plaisantes et assez bien utilisées bien que parfois peut-être un peu lourdes et faciles. Il reprend les ressorts de ses compères tout en les exagérant considérablement les parodiant malgré lui. Il reste mineur car peu innovant au sein du corpus Coréen et n’est que poudre aux yeux avec un scénario assez faussement compliqué et une photographie vraiment hallucinante. The Strangers n’est ainsi que déjà-vu et rancœur face à l’ennemi historique japonais. Imaginez seulement le même film, dans un village américain avec pour grand ennemi, même pour Diable, un russe qui n’a de caractéristiques que sa nationalité.


Bonne méditation.

CrèmeFuckingBrûlée
5

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le 19 juil. 2016

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