Cet avis est possédé par le Spoil, il vomit partout en hurlant des choses que les profanes ne veulent pas connaître.


J'adore les polars coréens. Mon premier c'était The Chaser, déjà de Na Hong-Jin, et c'était un vrai coup de cœur devant la noirceur du genre. Park Chan-Wook, Bong Joon-Ho et Kim Jee-Woon ont suivi, et c'était l'éclate pour moi. Puis le doute est venu s'installer : The Berlin File, City of Violence, Hard Day, et même Sea Fog ? Des déceptions, et d'autres ont suivi. J'avais commencé direct par les meilleurs, la suite me désenchantait progressivement. Était-ce une lassitude de ma part, une désillusion face à un genre sacralisé trop vite, une baisse de qualité des productions sortant en France ? Je commençais à avoir vraiment peur de perdre cette fascination aussi vite. La sortie d'un nouveau film de Na Hong-Jin en France (enfin !) ravivait forcément mon intérêt, mais pas autant qu'elle aurait dû. J'allais au ciné davantage par obligation que par véritable excitation. Et pourtant, excitation il y eu lors de ce visionnage.


Tout le monde a mentionné Memories of Murder pour la 1ère heure et c'est bien normal. On suit un policier un peu apathique et dépassé face à des crimes anormalement sordides dans un village paumé où tout le monde se connaît. Les gens sont trop familiers avec lui pour lui accorder une quelconque autorité et lui-même a du mal à s'investir dans son travail de fonctionnaire. Déjà, le cadre est similaire au film de Bong Joon-Ho. Mais Na Hong-Jin se permet aussi d'injecter une bonne grosse louche d'humour franchissant parfois la barrière de l'absurde avec une nonchalance qui frise l'insolence. Et je ne m'y attendais pas du tout, j'avais cru que seul Bong Joon-Ho se permettait ce genre de cassure nette. Et le plus beau, c'est que ça tient moins de l'envie de trouver l'adhésion des jeunes en mal de blagues Marvel que de la folie juvénile limite régressive, mais pourtant étonnamment DRÔLE. On a l'impression de voir des gosses qui se font peur tout seuls en se racontant des histoires de fantômes, avec des gros coups de tonnerre exagérément dramatiques comme je pensais ne plus en voir. Le gag de l'éclair foudroyant, je l'avais anticipé en imaginant que c'est ce que je ferais si j'étais encore un gosse. Sauf que ce con il le fait pour de vrai, avec un effet spécial moche qui le rend encore plus irrésistible. Je n'en revenais pas, j'étais stupéfait sur mon fauteuil en me disant "Putain, il a osé !". Et les deux flics qui ont l'air aussi ahuris que le spectateur et qui demandent si ça va. Ça aurait tellement pu constituer un suicide artistique, et pourtant c'est allé tellement en dehors de mes attentes que c'est devenu du génie.


Cet humour a tapé dans le mille pour moi, mais il a miraculeusement réussi à ne pas porter atteinte à l'ambiance angoissante ésotérique. On m'avait annoncé la présence du paranormal, j'ai eu peur que ça ne constitue du spoil mais c'était finalement bien présenté, assez tôt. Le décor et la musique dégagent quelque chose de malsain et indescriptible avec ces maisons étroites et surchargées. On ne sait pas trop si ces bougies, photos et colifichets inquiétants sont le signe de superstitions ou de vrai mysticisme, mais on n'est pas à l'aise. Tout ça monte en puissance avec l'entrée chez le Japonais. Sa baraque est troublante, son molosse donne envie de dégager et Jun Kunimura en impose à mort. C'est là que s'est opéré un déclic en moi, le truc qui a porté le film à des hauteurs inenvisageables.


Comme je pensais que le film s'aventurait effectivement dans le fantastique, j'ai joué le jeu. Je me suis dit "Ok, le Japonais est le Diable et le policier va discuter avec lui". Et là, c'était déjà surpuissant. Le flic, il n'est pas balèze du tout, il ne domine personne, et là il doit tenir tête au Diable en personne, représenté par un acteur qui ferait peur à Poutine. En plus il ne peut pas lui parler directement à cause de la barrière de la langue, il doit passer par un diacre. Même pas un prêtre confirmé, un diacre qui a peur de traduire des grossièretés parce qu'il est en contact direct avec le démon. Rien que cet intermédiaire là, il renforce brillamment le face à face. Putain c'est le Diable quoi, et avec ce monstre de charisme japonais on veut bien y croire. Je me dis qu'on peut facilement trouver ça xénophobe, mais que dans le fond c'est normal que le Diable prenne le visage de l'inconnu, puisque c'est de l'Inconnu que naît la peur.


Sauf qu'ensuite arrive le chaman, et là tout à changé. Le mec il débarque, il fait son show pour touristes en pétant la jarre rouge et en clamant "Un oiseau mort dans la sauce ! C'est le démooon !" et déjà je peux pas le prendre au sérieux. Et puis on nous balance sans préparatifs sa première danse d'exorcisme et c'est le choc. T'as une brusque irruption d'une musique festive mais bruyante, le chaman a mis son costume aux couleurs vives et se met à faire le mariole pour chasser le démon pendant que la fille se convulse. C'est là que j'ai commencé à me dire que Na Hong-Jin avait complètement craqué. C'est complètement en dehors de ce que je pouvais imaginer pour affronter le démon. C'est impossible pour un occidental de prendre ça au sérieux tellement c'est en marge de notre culture. Mais c'était hypnotisant, j'avais l'impression de voir toute la folie du village qui se déchaîne d'un coup avec cette musique qui avait l'air de vouloir m'empêcher de m'entendre penser pour comprendre que toute cette situation est ridicule, comme une propagande. Je ne savais plus où Na Hong-Jin voulait aller, mais il y fonçait tête baissée sans se soucier de garder son public et j'étais prêt à le suivre jusqu'au bout du monde. Parce qu'à défaut de savoir si tout cela conservait la cohérence du film, c'était vraiment du cinéma et j'aimais ça sans vraiment le comprendre.


Et on reprend avec une 2e séance d'exorcisme en écho avec le Japonais qui tape sur son tambour. Une scène encore plus prenante que la précédente. Le chaman, je ne sais plus si c'est un charlatan ou non, mais on se dit que c'est pas un type bien quand on le voit préparer ses lames. Et là, j'ai un gros doute. C'est vraiment possible que ce soit du fantastique ? Non, c'est vraiment trop ridicule. La fille possédée a dessiné dans son carnet une femme qui a du sang entre les cuisses, le message est clair sur la nature possible de sa possession. Le Japonais est mentionné comme un fantôme, or la situation du début associe Jésus à un fantôme. Il s'écroule au rythme des 4 clous enfoncés dans la figure en bois : ce serait pas plutôt Jésus ? Et puis pourquoi est-ce qu'on devrait se fier à ce montage pour affirmer que c'est l'exorcisme qui lui fait subir cette attaque cardiaque ? Les villageois se mettent alors à la poursuite du Japonais, et c'est pour moi une pure scène de superstitieux qui vont mettre à mort leur bouc-émissaire qui pourtant a l'air d'être une vraie victime avec sa souffrance qui nous est pleinement exposée. J'ai alors eu deux films qui se mélangeaient devant moi : un film fantastique où le héros doit affronter le fucking Diable, et un film sur une foule hystérique xénophobe. Et les deux films collaient autant l'un que l'autre alors qu'ils imposaient des enjeux totalement opposés. Cette opposition a provoqué un déchirement en moi. Le réal' craque son slip, les personnages aussi, je ne sais plus ce que je dois attendre, je ne sais plus qui je dois soutenir, putain il y a un zombie qui leur fout la misère qu'est-ce qu'il se passe ? C'est du fantastique ou pas du fantastique ? Le mec c'est Jésus ou c'est le Diable ? Je ne sais plus rien, je me contente de suivre cet élan furieux en me demandant où va me mener le film. Je suis en ébullition devant l'écran, je n'ai jamais connu ça. Je me suis dit que le film était cinglé, aussi possédé que la fille du héros, il faisait des grands écarts qui seraient suicidaires ailleurs mais qui contribuent ici à donner toute la mesure de la folie qui envahit ses personnages. Je n'avais jamais vécu un truc pareil au ciné.


Et puis il y a eu cette dernière partie qui a failli tout gâcher. Cette cohabitation fantastique/pas fantastique est rompue, on serait réellement dans le domaine du mysticisme. Dans un premier temps ça me va, parce que la confrontation avec la fille aux cailloux est glaçante. Je me suis rappelé de ce faux jump cut où après l'avoir vu une première fois balancer sa caillasse, on la revoyait, suite à une ellipse, qui s'était rapprochée. C'était très drôle à ce moment du récit, mais en y repensant je me suis dit que ça donnait aussi la fausse impression qu'elle s'était téléportée. Et ça renforce sa crédibilité en tant que force supérieure. Donc lorsqu'elle demande à Jong-Goo de lui faire confiance, on sent que c'est chaud. Sauf que ça dure un poil trop longtemps, que ça se termine sur la bête mauvaise décision du personnage de ne pas faire preuve de foi, et surtout on indique que le Japonais serait bien le Diable, ce qui a énormément cassé mon délire. J'adorais cette ambiguïté initiale, la briser pour ce twist décevant, c'était un sale coup pour moi.


Mais plus le temps passait, plus je me suis mis en tête que tout n'était pas perdu (avec certainement beaucoup de mauvaise foi) . Que ces révélations étaient peut-être un mensonge. Déjà la fille de Jong-Goo serait possédée en punition d'avoir soupçonné et souhaité la mort d'un innocent, or Jong-Goo n'en a voulu au Japonais qu'après la possession de sa fille. Ça ne colle pas. Alors il s'agit d'autre chose ? Ou alors ce n'est pas sa fille (mais j'en doute) ? Surtout que c'est tout le village qui subit cette malédiction. Une répression contre la xénophobie généralisée ? Je commence déjà à me dire qu'il y a anguille sous roche. Ensuite le Japonais signale que quoi qu'il dise, le diacre a déjà décidé qu'il était le Diable. Il sous-entend aussi qu'il pourrait être Jésus. Puis il prend une forme démoniaque, mais on ne le voit pas lui faire quoi que ce soit. On ne sait pas ce que devient le diacre. Du coup, est-ce parce qu'on nous a montré cette imagerie clichée du diable avec ses gros ongles et ses yeux rouges, celle que les habitants se sont faite du monstre dans leur cauchemars, que je devrais croire tout ça ? Les conventions cinématographiques indiqueraient que oui, mais Na Hong-Jin a déjà montré qu'il jouait de ces conventions. Si le diacre a décidé que c'était le Diable, n'est-il pas normal qu'il le voit ainsi ? Vu les trous que comporte cette histoire embrouillée, je peux encore croire que tout est possible. Je suis très loin d'avoir la clé de toute l'histoire, si tant est qu'il y en ait une, mais exceptionnellement cette complexité ne me frustre pas. Pour une fois je suis stimulé à chercher un peu, à trouver les différentes façons d'interpréter le film. Je suis persuadé qu'il va plus loin que ce qu'il donne à voir et que les apparences sont trompeuses.


The Strangers est une surprise incroyable, il change des polars de Na Hong-Jin. Il est confus, mais il est motivant. Il m'a fait rire, il m'a scotché par son ambiance flippante où la question de croire ou ne pas croire va nettement plus loin que le Régression de Amenábar. On sent une force supérieure qui plane, mais en même temps cette superstition est tournée en ridicule et je finis par ne plus savoir que croire. Même quand le Diable se présente sous sa forme je refuse de le croire, et en même temps j'envisage cette possibilité lors de face-à-face déments. Le film part dans tous les sens sans s'écarteler, il m'a tenu en haleine durant ses 2h36 sans aucun temps mort.

thetchaff
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le 25 juil. 2016

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