Mon dieu, par où commencer...
Un de mes films préférés, il fallait bien que j'en ponde une critique. J'ai vu pratiquement tous les films de Carpenter mais celui-là est clairement le plus haletant.
Au cinéma, j'aime que les films soient de gigantesques métaphores ou allégories mettant en lumière un phénomène social, humain, quelque chose de la vie réelle en somme. Et c'est précisément ce que Carpenter a su faire à merveille.


Un simple film d'épouvante ?


Tout d'abord est-ce qu'on peut parler du The Thing de 1982 comme un énième film de SF ou d'horreur ? Déjà évitons les amalgames, je préfère parler de films d'effroi ou d'épouvante pour qualifier le travail de Carpenter, le cinéma d'horreur est toujours moins philosophique et propice à l'analyse de fond. Une fois qu'on a dit ça, je ne pense pas non plus que l'on puisse dire que ce n'est qu'un film d'épouvante parmi d'autres, The Thing c'est une franchise, comme Blade Runner ou encore Alien, ça part d'un livre de 1938, d'un film en noir et blanc de 1951, puis il y a même eu un prequel en 2011, que j'ai trouvé pas mal d'ailleurs, j'en ferais certainement une critique. Tout ça pour dire que c'est une référence, qu'on adhère ou non. Les scènes où on voit la chose, ou quelqu'un se transformer en elle, sont pour la plupart tellement impressionnantes qu'elles en sont devenues cultes, même la scène du début où l'on voit le chien qui court dans la neige en se faisant poursuivre et tirer dessus par un hélico norvégien, c'est culte.
Bon maintenant on va voir pourquoi au-delà d'être une référence dans le genre, The Thing c'est pas que de l'effroi.


The Thing's among us...


Le The Thing de Carpenter c'est, comme je le disais, une vraie allégorie de la réalité sociale, qui met en avant la colonne vertébrale des rapports sociaux : la confiance. La confiance, ou plutôt en l'occurence la méfiance vis-à-vis des autres pensionnaires de cette base américaine, le fameux "trust no one" que Kurt Russell constate au moment où il s'enregistre au dictaphone. C'est le fil d'Ariane du film, à partir du moment où l'on comprend que la chose peut prendre la forme et adopter la voix et le comportement de n'importe qui, le film devient vraiment angoissant et en acquiert toute sa saveur. Et ça change profondément le rapport qu'ont les personnages les uns aux autres. Au début du film, on ne peut pas dire qu'il y ait vraiment de tension entre les personnages, ils se chambrent rapidement mais personne ne craint personne grosso modo, puis on comprend qu'ils se connaissent bien et qu'ils sont ensemble depuis un bout de temps. Mais l'arrivée de la chose vient vraiment perturber cet équilibre et c'est pour ça que la scène d'ouverture est aussi percutante avec ce parasite canin qui s'introduit parmi notre groupe de chercheurs. C'est d'autant plus un parasite qu'il va se charger de les monter les uns contre les autres, les pousser à s'entretuer, vers le milieu du film, Childs et les autres sont prêts à laisser MacReady mourir de froid avant qu'il les menace de tout faire exploser, c'est quand même fou une telle tension et une telle absence de confiance entre les personnages. Puis on pourrait aussi parler de Fuchs qui en vient à se suicider, ne sachant plus à qui se fier et qui préfère se donner la mort plutôt que de risquer une rencontre fortuite avec la chose. Les scènes montrant ce climat de méfiance totale se multiplient : le Dr. Blair qui craque, tue tous les chiens du chenil puis se met à menacer tout le monde après avoir découvert le secret de la chose, Windows qui chope un fusil et n'hésite pas à le braquer sur tout le monde, et que dire de Mac qui attache la moitié du groupe de sorte à vérifier par leur sang qu'aucun d'entre eux n'est la chose. C'est littéralement le chaos social. Si ce n'est MacReady qui jouit d'un gros leadership pratiquement tout le film, on a l'impression que personne n'est insoupçonnable et que dès lors personne n'est digne de confiance. Malgré ça, en raison de la rivalité qui semble exister entre lui et Childs, Mac ne fait pas tout à fait l’unanimité et subit même, comme je le mentionnais, une mutinerie initiée par Nauls qui l'abandonne dehors en coupant la corde dont il se servait pour aller chercher Blair. Une fois le loup dans la bergerie, plus personne n'est "trustable" et c'est le chaos. Le film n'est alors plus qu'une boucle qui se répète inéluctablement : tout d'abord la découverte d'un nouvel imposteur, la chose qui se dévoile et s'en prend à quelqu'un, puis son extinction au lance-flamme, jusqu'à ce que la base entière ne soit au final plus que champ de ruine embrasé, théâtre de la rencontre finale entre les deux personnages les plus chargés en charisme : Childs et MacReady.


La scène finale : miroir du chaos social


On peut remarquer un certain contraste, probablement intentionnel, entre ce tableau final et le début du film. Dans la scène d'ouverture, autour de ce chien qui s'enfuit, on a l'impression de faire face à un environnement assez paisible, de jour, harmonieux, blanc. Au contraire, au moment de la scène finale, la nuit s'est substituée au jour, tout ce qui était blanc, recouvert de neige s'est retrouvé obscurci par les ténèbres. L'harmonie, quant à elle, a laissé place au désordre, la base est en ruine, toutes les infrastructures sont détruites, les moyens de communication ne sont plus, et la seule source lumineuse provient des feux ayant été allumés pour tuer la chose. Un univers mis à mal par l'antagonisme et la méfiance des hommes. Le constat c'est que la chose a gagné. L'éternelle question de savoir qui de Childs ou MacReady est la chose dans la scène finale n'a que peu d'importance : si aucun des deux n'est la chose ils sont condamnés à mourir de froid dans l'heure qui suit, si l'un d'entre eux est la chose, il va se contenter de tuer l'autre puis hibernera et s'il se fait enflammer par l'autre qui n'est pas la chose, ce-dernier mourra de froid malgré tout. Aucune issue pour qui que ce soit en somme. Pas un seul des 12 chercheurs n'était amené à s'en sortir. Ce chien de la scène initiale, premier protagoniste apparu à l'écran, portait en lui de quoi annihiler tout un camp de scientifiques, bourreau de l'ordre social.


Mention spéciale au génial Morricone


Toujours dans les bons coups, l'excellent compositeur Ennio Morricone a contribué au mieux à retranscrire cette idée de chaos progressif, qui s'abat tranquillement sur le campement, sans faire trop de bruit, au son de trois notes qui se répètent en decrescendo. Cette musique apparaît dans les moments de climax et j'ai lu quelque part qu'on entendait cette musique à chaque fois qu'on voyait la chose dissimulée sous l'apparence de quelqu'un d'autre, notamment lorsque la chose, encore sous forme de chien, se balade à l'intérieur de la base. Or on entend cette musique à la toute fin lorsque Childs boit dans la bouteille de MacReady, ultime indice sous-entendant que l'un des deux est effectivement la chose et qu'elle ira jusqu'au bout ? Quoi qu'il en soit le mystère reste entier depuis 1982 et ce ne sont pas les quelques pseudo-indices balancés par le réalisateur sur son compte Twitter qui permettent d'apporter une réponse. Mais c'est aussi cette fin énigmatique qui donne sa pleine saveur au film et laisse planer cette idée de chaos certain mais lent et progressif, comme un pessimisme prophétique dirigé vers les rapports humains, bouclant ainsi la boucle de cette géante allégorie qu'est le The Thing de 1982.


Merci à John Carpenter pour ce moment.

StanRicolovic
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le 3 sept. 2018

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