Toute vérité est-elle bonne à dire?

Hirokazu Koreeda et Koji Yakusho, voilà la réunion d'un duo qu'on espérait depuis tant d'années et qu'on craignait ne jamais voir. La rencontre d'un des meilleurs acteurs Japonais, capable de tenir n'importe quel rôle et, d'un des meilleurs réalisateurs nippons qui lui doit encore explorer de nombreux genres. Et c'est justement avec The Third Murder qu'il décide de sortir des chemins déjà maintes fois arpentés, celui des chroniques familiales dont lui seul à la recette. The Third Murder est un polar très terre à terre empreint d'un mystère qui ne se dévoile jamais complètement, qui par sa narration et son déroulement très lent, se rapproche de ce qu'a déjà fait Kiyoshi Kurosawa par le passé (Cure ou Séance par exemple). Ce n'est donc pas un pur hasard de voir la vedette fétiche de KK (monsieur Yakusho) jouer dans l'œuvre de Koreeda. A vrai dire, ce ne serait peut-être pas très juste de cataloguer Koreeda à un seul genre, puisqu'il avait déjà exploré une autre époque avec Hana, imagé le passage entre la vie et la mort dans After Life et enrobait d'une magie indescriptible Air Doll. Mais disons qu'il a pris l'habitude d'explorer des thèmes très personnels, notamment les relations familiales, avec une justesse et une finesse exquise. Mais ici avec The Third Murder, il s'attaque au système judiciaire qui n'est pas exempt de défauts, puisque lui-même manipulé en grande partie par des hommes égocentriques. Il tacle au passage la peine de mort qui a encore de nombreux supporters au Japon.


Shigemori (Masaharu Fukuyama) est un brillant avocat de la défense tout juste divorcé qui est constamment plongé dans son travail. Il a tendance à passer ses intérêts et le résultat des procès avant même la vérité, puisqu'il estime que la plupart du temps celle-ci restera inconnue. Un dossier, dont l'issue du verdict est déjà quasi assurée, pointe le bout de son nez: Misumi (Koji Yakusho), déjà inculpé pour meurtre 30 ans auparavant, récidive avec un vol et homicide sur son employeur. Il reconnait les faits et risque la peine de mort mais est constamment entrain de changer sa version de l'histoire, défiant avec une certaine naïveté ses avocats de l'autre côté de la vitre du parloir, donnant l'impression de ne pas se soucier outre mesure de son sort. L'enquête avance, l'épouse de la victime est également ciblée par les déclarations changeantes de Misumi, mais Shigemori commence doucement à douter de la culpabilité de son client. Il s'intéresse de plus près à la fille de la victime, Sakie (Suzu Hirose), qui passait récemment du temps avec Misumi.


Avec son rythme très lent et ses longs dialogues, Koreeda a enveloppé son film dans un brouillard permanent qui ne s'estompe pas au fil de l'histoire, même si on arrive progressivement à déceler les motivations de chacun. Les dialogues font mouche et les face-à-face dans le parloir se révèlent passionnants à écouter. On assiste à une certaine rivalité entre l'avocat et son client qui se transforme petit à petit en intérêt et empathie, simplement séparés par une vitre qui semble absorber la vérité. Car malgré leur statut très différent, les deux hommes partagent beaucoup de choses en commun, dont l'amour pour leur fille malgré les obstacles et les erreurs commises qui ont détruit leur famille, mais également une opinion semblable sur l'injustice du destin qui semble jouer à la roulette pour décider de la vie des gens. L'interprétation de l'histoire et des faits nous mettra directement dans la même position que Shigemori: l'hésitation. Qui croire ou ne pas croire lorsqu'on est entouré de menteurs et de manipulateurs, qu'ils soient du bon côté de la justice ou du mauvais. De plus Shigemori a pendant longtemps fuit la vérité et la réalité en ne pensant qu'à ses propres intérêts. Harmonieusement accompagné par le thème sublime composé par Ludovico Einaudi, le scénario sème doucement l'inquiétude jusqu'à ce que se dessine la conclusion.


Hormis le choix judicieux de donner le rôle de Misumi à Koji Yakusho qui crève l'écran une fois de plus de par son interprétation parfaite (il est difficile de rester insensible au personnage de Misumi), Koreeda a également repris des acteurs déjà apparus dans ses films précédents: Masaharu Fukuyama de Tel Père, Tel Fils et Suzu Hirose de Notre petite sœur. Les deux sont remarquables. Le premier a décidément un talent certain pour jouer les hommes froids et impassible, ce n'est donc pas un hasard de le revoir dans le rôle de Shigemori. Suzu Hirose a vu sa carrière décoller après son interprétation de Suzu dans Notre petite sœur. Elle joue le rôle de Sakie, une jeune fille solitaire, mystérieuse et handicapée d'une jambe, au visage très refermé et parfois inquiétant. Bien qu'assez discrète dans l'histoire, ses apparitions apportent toujours quelques éléments importants. Elle semble être la seule personne à comprendre les moindres actions de Misumi, mais également la seule à détenir le fin de mot de l'histoire. Son incompréhension face au spectacle et au jeu puéril que s'adonnent les adultes au tribunal et ses dernières paroles destinées à Shigemori résument bien la pensée du réalisateur à l'encontre du système judiciaire: "Qui décide qui doit être jugé?". Car au final, nous sommes juste des Hommes imparfaits, avec des lois imparfaites qui jugeons d'autres Hommes imparfaits.

-Jun
8
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le 18 oct. 2018

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-Jun-

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