"Souviens-toi des choses éternelles"

Oui, c'est vrai: The Tree of Life est parfois chiant. Il est aussi hypnotique et fascinant. Oui, ce film est quelques fois maladroit. Il est pourtant techniquement irréprochable, aérien et émouvant. Il y a très peu de dialogues. Mais les longs silences sont contrebalancés par la perfection de la musique et des bruitages (qui participent pleinement à la bande-son). On y parle trop du bon Dieu chrétien. Il est question d'amour panthéiste. Le film est prétentieux. Beaucoup trop humble. Incompréhensible. Tellement évident.

Pour une fois, la plupart des critiques, aussi contradictoires soient-elles, ont raison. Tous les opposés s'accordent: on est face à une œuvre qui est à la fois tout et rien, à l'image de l'Homme dont il est si souvent question à travers les souvenirs du héros, Jack. Terrence Malick s'essaie à un genre quasi inédit: le poème cinématographique. Le thème est la Vie, l'essence même de l'Être. Ses images: des souvenirs humains insignifiants, essentiels, des bribes de Création chuchotées dans le silence des espaces primordiaux, des miracles cosmiques à jamais inaccessibles et qui pourtant continuent de résonner en nous, à travers nos gesticulations éphémères. La vanité apparente des êtres se fond dans un plan dont la grandeur nous dépasse. Chaque acte, chaque instant du présent subit le legs de l'éternité qui l'a précédé, faite d'explosions invisibles et de hurlements silencieux, de roches en fusion et de vagues titanesques, de cellules miraculeuses et de sauriens qui, un temps, dominèrent le monde avant la destruction venue des Cieux.

L'histoire du monde est incompréhensible. Elle semble vaine, faites d'erreurs et d'hésitations. Et pourtant, une vie se développe, valant ce qu'elle vaut, dans l'ombre immense d'astres à la révolution proche de la perfection. Que vaut l'existence de l'Homme dans ce maelström voué à la souffrance et à la disparition ? Il est le seul à pouvoir s'émerveiller. Des milliards d'années durant, nulle conscience ne put lever les yeux pour espérer ou maudire. Jusqu'à notre venue. Jusqu'à la venue de Jack.

Sa vie est à mettre en relation avec tout cela, même si ce n'est pas toujours facile. Le film atteint-il l'équilibre idéal ? Sans doute pas. On sera partagés entre la sensation d'en avoir vu trop ou pas assez. Malgré la virtuosité de l'ensemble, j'ai par exemple éprouvé une énorme baisse de régime vers les trois quarts du film, ce qui correspond à la révolte de Jack, indispensable au propos de l'œuvre. Ce qui devait être un moment fort, comparable à l'invective de Job à l'encontre de Dieu est au final bien trop timide: casser des vitres et détruire l'aquarelle de son frère n'a pas le poids nécessaire pour soutenir la réflexion philosophique de l'ensemble, en plus de briser assez gravement le rythme de cette symphonie filmique (car, durant ces longues minutes, même la caméra de Malick m'a semblé beaucoup moins inspirée que durant le reste de l'oeuvre). Qu'à cela ne tienne, c'est à peu près la seule véritable faiblesse qui m'a un tant soit peu gâché le plaisir de suivre la prestation de ces acteurs en véritable état de grâce.

Le film se délite donc lentement sous nos yeux, et c'est justifié, tant compte notre entière subjectivité pour s'émerveiller des petites choses, ou pour les haïr. Car au final Dieu, s'Il existe, ne semble présent qu'à travers notre façon de regarder le monde et de l'interroger sans cesse, jusqu'à mettre en évidence sa part éternelle.
Amrit
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le 15 juin 2011

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Amrit

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