Le sous-titrage est une affaire de morale

The Tribe, premier long-métrage du réalisateur ukrainien Miroslav Slaboshpitsky, a fait beaucoup de bruit à Cannes, il y a deux ans, remportant malgré la polémique une majorité d'avis positifs ainsi que le grand prix de la semaine de la critique. Pourtant, si on peut lui reconnaître une maîtrise certaine dans le filmage (on pense souvent à Alan Clarke), on se rend rapidement compte que le point de vue offert pose problème. On peut en effet légitimement s'interroger sur le choix de ne pas sous-titrer les dialogues, intégralement interprétés en langue des signes, qui est pourtant une langue à part entière : volonté de focaliser l'attention du spectateur sur les bruitages et la gestuelle, de rendre la violence du film plus brute, plus pure, jusqu'à lui insuffler (comme cela a été dit par certains critiques) un aspect chorégraphique ? Quoi qu'il en soit, cela crée avant tout une asymétrie entre le spectateur et les personnages, presque réduits au rang d'animaux passant leur temps à s'affronter les uns les autres, sans que l'on en comprenne les tenants et les aboutissants. Couplé avec les choix de mise en scène (de longs plans séquences, le plus souvent larges), ce parti-pris nous confère une forme de toute-puissance : nous voyons tout et surtout entendons tout, là où les adolescents sont naturellement limités par leur handicap. Deux scènes illustrent parfaitement ce sentiment : la première où l'un des pensionnaires, n'entendant pas un camion reculer juste derrière lui, se fait écraser ; et la seconde, à la toute fin du film, où il nous est proposé de voir quatre jeunes hommes, n'entendant pas la menace arriver, se faire méthodiquement éclater le crâne à grands coups de table de nuit. On lorgne ainsi clairement vers un cinéma de l'humiliation des plus détestables. Ce qui est d'autant plus dommage que le film semble parfois (malgré lui ?) échapper à son dispositif, comme lors de la première scène de sexe, qui prend une tournure relativement inattendue.

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le 20 nov. 2016

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