Ce n’est pas parce que tous les personnages de The Tribe sont élèves d’un pensionnat pour sourds qu’on nous servira une histoire d’enfants de chœur assistés. Au contraire, cette « tribu », enfoncée dans ses propres problèmes, n’a personne pour barrer sa marche résolue et chaotique vers la vie, le sexe et la mort.
Myroslav Slaboshpytskiy (pas facile à écrire celui-là), réalisateur ukrainien dont c’est le premier long-métrage, prévient par un carton avant l’ouverture du film : le film est tourné en langue des signes, sans aucun sous-titre. Pour qui ne parle pas le langage des protagonistes, il faut compter sur son sens de l’observation et son intuition. C’est un parti pris qui fait du film une expérience inédite pour le spectateur, qui dépend beaucoup des conventions culturelles et sociales pour comprendre ce qui l’entoure.
Certains objectent que cela ne permet pas de s’identifier aux personnages du film, qui eux peuvent se comprendre, ce qui ferait d'eux encore un peu plus des individus aliénés. Pour moi c'est exactement l'inverse. Ne pas avoir de traduction nous fait vivre une forme d'exclusion que ressent sans doute un malentendant. Cela aiguise notre désir de compréhension, et fait souvent passer l'effet d'un évènement avant sa cause.
Ce n’est pas un hasard si le film s’ouvre sur un arrêt de bus où descend Sergey , le « héro » de l’histoire. Le film est une sorte de pérégrination, menée par une caméra mouvante et libre. L’ensemble est presque entièrement construit en plan-séquences (une scène filmée en un seul plan, sans interruption de la continuité) où la caméra effectue des mouvements particulièrement fluides et chorégraphiés (elle ne tremble jamais, même lorsqu’elle monte des escaliers ou descend une pente neigeuse).
De façon assez classique, cette caméra nous amène à nous identifier au personnage de Sergey, fraîchement débarqué, qui va devoir gagner sa crédibilité auprès des autres élèves. Il tombe amoureux d’Anna, qui se prostitue sous la tutelle d’un de ses professeurs. Son amour va remettre en cause les plans de chacun.
Sur cette base, le film accumule les scènes chocs, et met parfois les acteurs (tous de vrais malentendants) dans des situations extrêmement pénibles, à tel point que c’est parfois dur de les imaginer consentant. C’est d’ailleurs peut-être la limite du film…beaucoup de fureur (sans le bruit) mais pour quoi au final ? Le périple de Sergey se referme sans qu’on ait pu vraiment se sentir investit nous-mêmes. Le caractère très chorégraphié des scènes de foule paraît aussi trop forcé (bien qu'on puisse y trouver un charme théâtral). Il est aussi dommage d’être resté sur une histoire de proxénétisme finalement peu crédible (enfin j’espère !), qui occasionne beaucoup d’aller-retour, là où on aurait aimé plus de personnage et de destins croisés. A chacun de trouver sa réponse à cette accumulation de violence dans ces conditions.
Au final, The Tribe correspond pour moi au genre de films qui malgré leurs défauts restent très recommandables. Il fait parti de ceux qui, pour raconter des histoires peut-être simples ou conceptuelles, usent de véritables partis-pris cinématographiques.
Moonki
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le 19 oct. 2014

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