L'apothéose du genre

Peter Weir, au moment de réaliser ce film en 1999, est connu pour son célèbre Cercle des Poètes Disparus. Un film qui nous en dit long, d'ailleurs, sur les thèmes de prédilection du bonhomme: le formatage des pensées, la question de la condition humaine entre autres. Ce sont des thèmes que l'on retrouve dans The Truman Show, puisqu'on y retrouve Truman Busbank, un homme a priori enthousiaste, à la vie rêvée et rangée. A travers des décors (c'est le cas de le dire) colorés et trop propres pour être vrais, on est ainsi immergés dans la vie sans complexité et sans problème d'un homme heureux. C'est sans compter, bien entendu, sur le fait que Truman Busbank est en fait, à son insu, le sujet d'une émission de téléréalité retransmise dans le monde entier et est filmé 24 heures sur 24.
Alors, successivement, quelques petits indices vont mettre Truman sur la voie de la vérité, et vont lui mettre la puce à l'oreille, si bien qu'il va, pendant la première moitié du film, chercher, de plus en plus, à mettre des preuves sur ce doute qu'il a. Ainsi, si l'on voit d'abord un Jim Carrey merveilleux en Truman Busbank (de plus, la voix française est tout à fait géniale, la même que celle de Chandler dans Friends il me semble) qui va finir par se révolter contre ce petit monde sous cloche, constitué d'une population de figurants et de décors coulissants. Lors de la demi-heure restante, le film a plus tendance à s'axer sur le créateur de cette émission, et donc à nous expliquer le pourquoi du comment, et surtout qu'est-ce qui a bien pu pousser ces gens à dépasser toute limite morale ?
Le film se révèle rapidement être une véritable et redoutable satire sociale, notamment d'une société de consommation accro à l'écran et immorale: ils savent tous parfaitement que Truman lui-même ne sait pas qu'il vit dans une bulle et cela les mène à la limite de l'excitation. The Truman Show emprunte ainsi les traits d'un soap volontairement insipide, bourré de placements de produits qui ancrent définitivement le film en tant que critique du modèle capitaliste. On a donc tendance à lorgner vers Fight Club parfois, mais le film se crée une identité, par sa photographie et son découpage notamment, qui lui évite toute amalgame avec un autre film. L'autre film qui me vient à l'esprit est Hunger Games, puisqu'on a ici aussi également affaire à une société divertie par une émission pas forcément très morale, qui enferme des êtres humains dans une bulle et les filme contrôlés, à la merci de n'importe quel scénario (ici, un scénario simple qui convient au maximum de monde).
Les autres oeuvres proches de The Truman Show qui me viennent à l'esprit sont surtout littéraires; j'ai plusieurs fois pensé à 1984 de Georges Orwell. On retrouve par ailleurs le thème du divin, notamment par le personnage à l'origine de l'émission de télé-réalité, qui n'est pas vraiment mauvais au fond, et s'est attaché, comme une mère, ou plutôt, comme un écrivain, au personnage qu'il a créé. Ainsi, le film devient une sorte de Prometheus réaliste et poétique (la fin est réellement poignante), avec à la clé une rencontre en Dieu et sa créature. The Truman Show, que je considère désormais comme un classique absolu du genre du huis clos ou même de l'anticipation, n'a pour moi qu'un seul défaut: sa manie de vouloir toujours tout expliquer, plutôt que de laisser libre cours au spectateur de s'immerger dans l'univers de Peter Weir, et de tirer lui-même les interprétations de ce monde cruel qui n'est pas si loin du nôtre.