Tout le monde attendait ce nouveau film de M. Night Shyamalan comme une sorte de retour aux sources après une brutale descente aux enfers cinématographiques datant d’à peu près 10 ans (post Le Village), la flamme du petit génie de Sixième Sens ne pouvait s’être éteinte comme par magie, cela semblait difficile à croire, s’évadant même dans les bas fonds de la science fiction avec le poissard Will Smith. Cette fois on efface tout et on recommence, comme une seconde chance, et quoi de mieux qu’un bon petit film d’épouvante ? Sincèrement j’étais parti avec pas mal d’a priori positifs, la bande annonce nous vendait quelque chose de plus simplifié avec une ambiance proche des œuvres qui ont fait sa renommée, le bout du tunnel enfin atteint ?


Tyler et Becca, jeunes frère et sœur vont rendre visite à leurs grands-parents dans leur ferme en Pennsylvanie, leur mère, fâchée de longue date avec ces derniers, les laisse durant une semaine pour faire connaissance, ils ont pour propre objectif de réaliser un reportage de leur rencontre et tenter de briser la glace concernant cet étrange conflit. Mais très vite des événements étranges vont se produire, le comportement de ces vieilles personnes semble anormal, la méfiance et la peur s’installent.


Shyamalan choisit le parti pris du found footage, concept usé jusqu’à la moelle à force de multiplications absurdes mais si maitrisé peut se révéler des plus flippant, les amateurs du genre ne demande que ça, le réalisateur va s’en servir de manière plutôt habile en évitant les pièges grossiers qui lui sont régulièrement attachés, c’est d’ailleurs pour lui une première et à ce niveau là il s’en sort sans trop de reproches. L’attachement aux deux jeunes est rendu très accessible grâce à un bon choix de casting ainsi que des personnalités et caractères définis, l’écriture en fait des pré-ados se dégageant de sophistications inutiles, même si je ne comprend pas vraiment l’idée de faire de Tyler un pseudo néo-rappeur mis à part pour cultiver une parcelle de second degré voire de surréalisme (par exemple le passage avec le contrôleur de train sort un peu de l’ordinaire, on peut aussi trouver ça ridicule). Nous partons donc avec quasiment aucune information concernant leurs grands-parents, l’intérêt est de faire ce voyage avec eux et de partager leur expérience, de ce fait le principe du found footage rend la chose immersive, et comme Becca et Tyler ont pour ambition de réaliser un reportage de leurs vacances comme de vrais cinéastes en herbe ils vont prendre soin à livrer des plans plus ou moins savamment posés et concrets, ce qui annule le fameux cliché du FF qui consiste à ce que le caméraman s’applique bêtement à cadrer sans qu’il n’y ai de bon sens, ce qui donne un contenu plus "cinéma" (esthétique). De plus aucun artifice musical ne vient instrumentaliser nos émotions et c’est un sacré point positif, le genre de petit détail qui fait toute la différence, et c’est tout à l’honneur de Shyamalan.


Ce qui va par contre commencer à nous interroger c’est le manque de patience qu’a le réalisateur a instaurer son intrigue, même si au premier abord il ne dérange pas tant que ça, en fait l’effet a pour moi été rétroactif, on se méfie trop vite de ces vieilles personnes, elles ne nous mettent pas vraiment en confiance, ça doit durer à peine 10 minutes avant de passer aux choses sérieuses, c’est à mon sens la première erreur. Un véritable climat horrifique doit se développer minutieusement, le spectateur a besoin de se créer une zone de confort pour la voir se dégrader petit à petit, là elle s’en retrouve trop précocement fragilisée, et c’est dommage (le contre-exemple le plus célèbre doit être Shining). Cependant la force de Shyamalan est de capter ce petit moment terrifiant que tout le monde attend en l’intégrant à une mise en scène travaillée, qui malgré l’apparent minimalisme du format se détecte implicitement et participe au sentiment de "trouille ultime", il fait tout de même preuve d’une certaine finesse. L’objectif est aussi de créer un malaise autour du mystère de l’intimité des personnes âgées, de percer leur cocon de solitude et leur démence sénile, c’est véhiculé par petites touches, surtout pour le grand-père, incontinent et montrant tous les symptômes de la maladie d’Alzheimer, la grand-mère c’est autre chose, on l’assimile trop rapidement comme possédée par un esprit démoniaque, et bizarrement ça ne semble pas effrayer les jeunes tant que ça, voir mamie gratter des portes à poil ou déambuler comme une araignée au sol franchement il y a de quoi être marqué au fer rouge.


Ensuite Shyamalan va cultiver toute cette énigme vers un crescendo narratif pour le coup palpable, plus les jours avancent plus le piège semble se refermer sur Becca et Tyler, l’ambiance est oppressante, en revanche je n’ai pas compris l’intérêt d’ajouter avec insistance ce sentiment de mélancolie paternelle, enfin on sent les intentions du réalisateur à faire passer un message pour donner une substance à son film, "d’avancer dans la vie malgré la perte", etc, mais au final le mix ne fonctionne pas vraiment, c’est limite trop explicite et maladroit, un peu comme celui qu’on retrouve dans Signes. Évidemment on identifie les références au conte d’Hancel et Gretel, puis les éléments purement fantastiques vont sortir un peu de nulle part comme cette étrange histoire des créatures blanches aux yeux jaunes narrée par les grands-parents tour à tour, comme des comptines qu’on raconterait aux enfants avant de dormir, ça aurait pu être extrêmement fascinant mais ça n’est pas franchement bien amené il faut dire, on ne sait plus trop où donner de la tête. La dernière partie du long métrage censé toucher le point culminant de la tension horrifique se montre efficace mais use inexorablement de facilités et de raccourcis plutôt, encore une fois, que de prendre son temps pour nous coller dans un malaise profond, par exemple la séquence du jeu de société aurait pu durer bien plus longtemps, Shyamalan semble s’en débarrasser, c’est bête, surtout si c’est pour nous servir une tranche calquée sur [REC] et un dénouement expédié avec un final alternant le cliché et une ultime dose de sensiblerie passablement hors sujet. Et je ne parle pas de l’intro du générique de fin que je n’ai pas du tout aimé.


En fait je ne sais pas trop si j’ai apprécié ou non ce film, il a des qualités indéniables en terme de climat et d’immersion, on a notre dose de trouille tant espérée, la partie épouvante est réussie, mais la recette a en définitive du mal à prendre à cause de cet éparpillement de points de vue narratifs, la setlist d’idées et son déploiement est trop perceptible, c’est certes le style Shyamalan mais il se retrouve en quelque sorte piégé par sa propre volonté d’épuration du format. Ce fameux parti pris du found footage ne peut se passer d’une profonde sincérité en terme de concept et de minimalisme en tout genre (un thème suffisait largement), le cinéaste a vu trop grand dans trop petit, c’est assez rageant car je trouve que la volonté de bien faire était là, on sent que le gars a appris de ses erreurs pour retrouver son aura perdue, malheureusement il en commet d’autres, bien qu’ici davantage pardonnables que ses derniers projets.

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le 1 oct. 2015

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JimBo Lebowski

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