Cinq ans après avoir sondé les hautes institutions politiques et scientifiques sur le devenir des déchets nucléaires d’ici quelques milliers d’années dans Into Eternity, Michael Madsen est de retour aux affaires avec un documentaire bien plus choc et pertinent que ne l’aurait laissé imaginer son sujet d’anticipation. Point de départ de The Visit, le tout premier contact extraterrestre est également le point central d’une quantité de films de science-fiction qui ont déjà traité du sujet avec plus ou moins de fantaisie. Ici, trêve d’imagination, ce postulat n’a jamais été traité aussi rationnellement. Avec un sérieux parfois déconcertant, Michael Madsen s’interroge ce que pourrait donner la première rencontre avec une forme de vie intelligente tout droit venue de l’espace. The Visit, c’est donc une réflexion sur l’impact de cette rencontre dans notre société mais c’est également une fiction, une simulation de la crise que cela créerait. Michael Madsen met en scène ce qui pourrait se passer si une telle rencontre venait à se produire, faisant appel à de véritables personnalités du monde politique, militaire et scientifique pour partager leurs réactions en de pareilles circonstances. Il en résulte une fiction crédible sublimée par la forme contemplative et envoûtante à laquelle Michael Madsen est fidèle. Avec ce style si singulier, il est peut-être l’un des rares à moderniser aussi radicalement le documentaire en lui donnant une dimension philosophique saisissante qui frôle l’expérimental.


Ceux qui ont vu Into Eternity se souviennent de sa caméra fluide et mouvante, elle l’est encore plus ici tant elle s’insère dans les angles les plus complexes et les parois les plus fines. Les séquences extérieures avec l’armée sont de toute beauté et contrastent avec des interviews en plans fixes épurés mais dont la qualité esthétique reste remarquable. Michael Madsen est un plasticien visionnaire, c’est indéniable. Avec de nombreux plans aériens et une stylisation géométrique des cadres et lieux, The Visit offre une douce sensation de flottement, renforcée par une bande-son magnétique et des dialogues calmes et clairs. Le rythme pourrait pâtir d’un tel parti-pris visuel et narratif mais il s’avère finalement indispensable pour ne faire qu’un avec ce sujet astronomique. C’est d’ailleurs sur le formidable morceau Space Oddity de David Bowie que le documentariste conclut son épopée dans la conscience humaine et nous laisse en orbite avec nos interrogations irrésolues et la prise de conscience de notre vanité. Car au-delà du fait d’aborder les réactions institutionnelles face à un contact avec des êtres venus d’ailleurs, The Visit est avant tout un film philosophique qui interroge notre propre condition. Ce documentaire est bien plus le reflet de notre nature humaine que celui de ces êtres inconnus. Il prend une direction inattendue et devient en quelque sorte le miroir de notre existence, du degré de notre importance dans l’univers. Nous qui avons sans cesse eu la prétention de nous croire seuls dans l’univers avec un ethnocentrisme dément, cette rencontre serait une remise en cause de toutes nos croyances. Entre peurs et espoirs, l’homme ne saurait pas comment réagir face à un tel événement, entre attirance, curiosité et peur de l’inconnu.


Pendant des mois, le réalisateur a rencontré tout un tas de personnalités issues du monde scientifique, politique et militaire. Il les a invités à imaginer le dialogue qu’ils entretiendraient avec cet étranger conceptuel. D’un air assuré, ils tiennent tous à montrer qu’ils ont méticuleusement planifié une marche à suivre si jamais cette éventualité venait à avoir lieu. Mais de la NASA aux Nations Unies en passant par l’Armée, on se rend très vite compte que malgré l’intelligence et la maturité de ces gens, ils arrivent difficilement à concevoir des extraterrestres autrement que comme des continuités développées de l’homme. A aucun moment, ils n’arrivent à s’interroger sur l’absence d’émotions (le propre de l’homme) ou la présence d’émotions inconnues par l’homme. Au fond, ce que révèle ce documentaire si intéressant, c’est que l’homme est aussi fasciné qu’effrayé par l’inconnu. Les scientifiques ne cessent de s’interroger sur ce premier contact et se creusent les méninges quant à la réaction à adopter, ce qui donne lieu à des résultats contradictoires. Un accueil chaleureux souhaitable qui tournerait rapidement en un interrogatoire curieusement intime (Que nous voulez-vous ? Que savez-vous de plus que nous sur la vie ?) jusqu’à des formes de menaces suggérées (mise en place d’une organisation militaire défensive). L’homme n’a jamais pu vivre une période sans conflits et lorsque l’inconnu débarque dans son quotidien, il ressent une forme de menace et d’intrusion, paradoxalement associée à sa fascination pour cette nouvelle existence venue d’ailleurs. Son désir de connaissance universelle, sa soif de pouvoir, son envie de contrôle de son environnement et la peur de l’inconnu seraient autant de réactions qui rendraient cette rencontre totalement hostile. Comme il est clairement explicité dans les différents entretiens du film, au moment où l’on admet la possibilité d’un inconnu, la réalité s’élargit. Mais n’est-ce-pas effrayant de voir notre réalité soudainement bouleversée ? Tous les protagonistes du film se retrouvent à un moment ou à un autre figés face à leurs propres interrogations, attentes, désirs. Michael Madsen n’hésite pas à laisser durer les silences poussant ces personnalités dans le plus grand des embarras, face à leurs propres contradictions d’une interview à l’autre. Les personnes interrogées sont pourtant d’une qualité, d’une connaissance et d’une expérience conséquentes mais leur valeur s’essouffle progressivement, rejoignant notre point commun à tous : Nous savons que nous ne savons rien. Les hommes définissent presque logiquement ces extraterrestres comme des êtres dotés d’une intelligence encore jamais vue. Ils sont censés avoir la connaissance ultime, et tout particulièrement dans une séquence assez surréaliste. Il s’agit sans doute du plus beau moment du film, celui où un intervenant -qualifié pour être le premier homme à pénétrer un vaisseau extraterrestre (véridique)- imagine son parcours et ses ressentis lors de son arrivée dans ce vaisseau inattendu. Michael Madsen met en scène cette séquence avec l’arrivée d’un homme en combinaison orange au sein d’un bâtiment culturel qu’on imagine être une bibliothèque ou un musée. Comme une métaphore de l’ensemble des connaissances, de l’intelligence et du patrimoine de ces êtres interstellaires. Au fond, pouvons-nous réellement concevoir que nous ne sommes pas seuls dans l’univers ?


Expérience philosophique et sensorielle sans précédent, Michael Madsen défie quiconque de ne pas s’interroger sur sa propre condition à la fin de The Visit. Dans une ultime séquence, on se pose peut-être la question qui bousculera tout ce en quoi nous croyons : Est-ce-que nous sommes dignes d’intérêt ? Michael Madsen n’a jamais estimé être en mesure d’apporter des réponses aux questions de ses documentaires. Il ne fait qu’apporter une interrogation à un instant T dans notre vie. C’est peut-être ça la justesse d’un documentariste qui fait preuve de modestie et de conscience de soi-même. Nécessaire et magnifique, The Visit est tout autant une lettre adressée à l’humanité que son propre portrait, aussi déroutant qu’effrayant. Il ne nous reste plus qu’à attendre l’ultime volet de sa Trilogie de l’Humanité qui s’intitulera Odyssey. Ce documentaire portera sur un voyage dans un vaisseau générationnel, soulevant là des questions sur le sens de l’Histoire et sur la communication entre les générations. Avec une si brillante trilogie, Michael Madsen confirme qu’il est l’un des documentaristes les plus intéressants de ce siècle.


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Softon
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le 7 oct. 2015

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Kévin List

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