« The Voices », le nouveau film de Marjane Satrapi, je l’attendais avec autant de joie que de crainte. Une production américaine, un film de commande, avec un acteur principal qu’on connaît surtout pour son rôle de « Green Lantern »… Et des animaux qui parlent ! Tout portait à croire que Marjane avait vendu son âme à hollywood. Et pourtant, la réalisatrice prouve là encore l’inventivité réjouissante de son cinéma.


Jerry ne va vraiment pas bien. Depuis qu’il ne prend plus ses cachets, il vit dans un monde rose bonbon, où travailler dans une usine de baignoires est une véritable partie de plaisir. Il cache sous sa naïveté extrême qui fait fuir ses collègues un combat mental perpétuel, incarné par ses animaux de compagnies. Alors que son chien le valorise tout en le faisant rester sur le droit chemin, son chat est une vraie plaie qui l’incite aux pires atrocités. Cet équilibre précaire ne va-t-il pas finir par s’écrouler ? Alors qu’on craignait un personnage principal sans saveur, c’est précisément lui qui fait tout le sel du film. Il est terriblement attachant. D’une tendre bêtise, son décalage avec le monde qui l’entoure est irrésistiblement drôle, et peu même parfois se révéler touchant. C’est le premier constat du film : il oscille constamment entre comédie et tragédie, horreur et humour noir…


...Mais tout cela serait superficiel si ces oppositions de registres et de genres n’étaient pas renforcées par une mise en scène à l’inventivité bluffante. Tout le film étant du point de vue tronqué et psychotique du personnage principal, l’esthétique du film le traduit par des couleurs joyeuses et chaleureuses, une sorte d’univers édulcorée où même les tâches de sang disparaissent comme par magie. Les quelques rares retours à la réalité n’en sont que plus glaçants, et permettent de comprendre la psychologie du personnage. Ses entrevues avec un psychologue sont là aussi révélatrices de son état d’esprit, oscillant entre lucidité et mensonges. De plus, certains partis-pris surréalistes, comme ces animaux et ces cadavres parlants, donnent une folie au film qui convient très bien à la mise en scène atypique de la réalisatrice.


Les critiques diront ce qu’ils voudront sur la niaiserie apparente du film, il n’en reste pas moins que Marjane Satrapi a fait un virage dans sa filmographie certes très serré, mais parfaitement contrôlé et indéniablement réussi. A la fois drôle et intimiste, toujours débordant d’idées, « The Voices » prouve que quel que soit le contexte de réalisation, lorsqu’un auteur est décidé à faire un film doté d’une vraie personnalité, même un scénario douteux peut aboutir à une œuvre remarquable.

Marius_Jouanny
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le 22 mars 2015

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