ODE À LA LIBERTÉ
De l’art subtil de produire une oeuvre majeure en costume pop


Depuis sa sortie en 2016, The VVitch m’intrigue et me repousse à la fois.
Le genre Terreur est une planche savonnée où se côtoient le pire, souvent et le meilleur, exceptionnellement. Les étoiles filantes y sont rares. À plusieurs reprises, j’ai renoncé, de crainte de me sentir obligé de finir une séance pour laquelle je n’aurais d’autre intérêt, que de pouvoir en cocher le titre, au tableau des films vus.
Et puis, il y a quelque jours, à la faveur d’une pause forcée, flânant sur une plateforme, j’ai finalement pressé la touche « Play ».
Il ne s’est passé qu’une semaine depuis que j’ai découvert le film, mais j’y ai repensé depuis, tous les jours.
Les idées puissantes ont cette étrange capacité à persister et se développer progressivement en nous. Nous laissons nos réflexions étayer nos émotions et projetons autour de l’œuvre toutes les hypothétiques intentions de son réalisateur.
Bien souvent, ce ne sont que nos propres opinions, conscientes ou non, qui prennent le pas sur une vérité qui ne peut, de facto, qu’appartenir à son auteur.
Pour cette raison, les bonnes critiques sont rares à mes yeux. Elles tentent plus souvent d’imposer un point de vue égotique que d’éveiller la curiosité. Elle proposent rarement un débat soutenu par des arguments clairs et se perdent en considérations subjectives, à vouloir à tout prix convaincre. Leur lecture en devient un calvaire.
Et comme je n’échappe pas à l’influence de mes expériences personnelles, je veux être bref, dans l’espoir de donner à chacun l’envie de se faire sa propre opinion et de répondre à la simple question qui nous motivent ici, à lire la pensée d’un autre : Y-a-t-il un intérêt à le voir ?


Avec un peu plus d’une heure et vingt-cinq minutes hors générique, le film est court. Le réalisateur s’oblige à la concision, aux antipodes de la tendance actuelle à délayer l’intrigue au détriment de l’impact. Les séries, sauf exception, en sont un parfait exemple. Car ici, il ne s’agit pas d’une saga, mais bien d’un conte, avec toute sa logique narrative, tout ce que cela comprend de terreur viscérale et nous épargne de mièvrerie.
Mais le film n’est pas que cela. Comme souvent les œuvres abouties, il autorise plusieurs niveaux de lecture, propose un questionnement et une pensée profonde.
Le scénario est simple et l’on pense d’abord être en terrain connu.
Si l’on se contente de ce premier niveau, on aura assisté à une bonne projection. L’une de celle qui parvient à nous attraper par son rythme et la force de sa narration, par les qualités techniques de la production, l’esthétique de la réalisation et l’excellence du jeu des acteurs.
Sans avoir recourt aux artifices adolescents que sont le sursaut et l’usage abusif de plans chirurgicaux pensés comme des objets marketing, destinés à exciter le plus petit dénominateur commun d’une masse ignare, blasée par la violence et friande de voyeurisme, l’histoire parvient à nous emporter absolument. Au point que lorsqu’apparaissent les premières lignes du générique de fin, l’on ressent le besoin de rester en silence, pour nous laisser la possibilité de reprendre une vie normale.
Ces qualités justifiant seules le temps consacré à la rédaction de cette critique, il restera néanmoins aux sensibles, un sentiment plus abstrait mais également plus profond, face à la puissance dissidente du second niveau de lecture.
La sorcière n’y est pas plus violente que l’application des préceptes d’une religion qui juge et exclue, qui colonise et sacrifie, en manipulant à dessein les peurs intimes d’abandon que nous connaissons tous.
La sorcière n’y est pas plus un mythe que la religion elle-même et ne cesse de la rejoindre en une danse schizophrénique, sans jamais parvenir à la dépasser dans sa noirceur. À cet égard, saluons la finesse des dialogues et la performance des acteurs, notamment celle du tout jeune Harvey Scrimshaw, Caleb, dans la scène où il confie à son père sa terreur non pas de mourir, mais de ne pas être admis au paradis.
Et l’on se surprend à se demander si la condition de la sorcière n’est finalement pas plus plus enviable que celle des personnages, tant la violence psychologique que fait subir la religion à ces ouailles au travers de la toute-puissance du père, est abjecte.
Volontairement, je n’aborderai pas la fin du film, ultime espace de liberté interprétative pour le spectateur.
Je conclurais simplement en écrivant que The VVitch est l’un de ces films qui nous rappelle qui nous sommes. Dans un univers à l’équilibre esthétique somptueux (magnifique Nouvelle-Angleterre), il parvient à nous faire dépasser le niveau de nos réflexions quant à notre propre condition, tout en ne cédant pas à la facilité de nous mettre mal à l’aise.
C’est une oeuvre de grande qualité, à la fois abordable et profonde.
Je n’attendrai pas quatre années pour aller découvrir The Lighthouse, le dernier Robert Eggers.
Ça tombe plutôt bien : curieusement, il est à l’affiche à partir de demain.

voiceisagun
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 17 déc. 2019

Critique lue 138 fois

3 j'aime

voiceisagun

Écrit par

Critique lue 138 fois

3

D'autres avis sur The Witch

The Witch
Gand-Alf
8

Into the Woods.

Grande sensation du festival de Sundance en 2015, rachetée immédiatement par Universal pour une visibilité plus conséquente, il est à parier que The Witch risque de subir le contre-coup de ses...

le 20 juin 2016

124 j'aime

7

The Witch
Velvetman
7

Le petit chaperon rouge

The Witch est déconcertant. En 1630, une famille bannie de son village va vivre à l’écart de la société et prospérer proche de la forêt. Pour se sentir en osmose totale avec les cieux et loin de la...

le 7 juin 2016

119 j'aime

12

The Witch
Sergent_Pepper
7

La lisière sans retour

Dans la production pléthorique de films d’horreur et d’épouvante, on nous en sort au moins par an qui pourrait franchir le cercle des amateurs et accéder à la dignité d’un véritable film. L’année...

le 4 juil. 2016

90 j'aime

5

Du même critique

The Witch
voiceisagun
10

ODE À LA LIBERTÉ

ODE À LA LIBERTÉ De l’art subtil de produire une oeuvre majeure en costume pop Depuis sa sortie en 2016, The VVitch m’intrigue et me repousse à la fois. Le genre Terreur est une planche savonnée où...

le 17 déc. 2019

3 j'aime

Butchers
voiceisagun
7

Tout est dans le titre. Hélas.

Je suis atteint du syndrome "La Cabane dans les bois". Depuis le film de Drew Goddard, j'espère des variations aventureuses autour des thèmes classiques du film d'épouvante. C'est dans cet esprit...

le 29 janv. 2021

1 j'aime

1

BAC Nord
voiceisagun
1

Je suis devenu diabétique en le regardant.

Car oui, la lumière, la mise en scène, la direction d’acteur (Gilles Lelouche en flic ? Sérieusement ?), le scénario archi-telephoné, les poncifs en cascade, le monde de merde, les accents...

le 19 déc. 2021