Les mécaniques sont bien huilées, de nos jours.Trop, peut être. Au point que le genre épouvante / horreur semble ronronner, en veillant à ne rien proposer qui puisse clairement choquer ou encore provoquer le malaise.


L'efficacité est parfois en rendez-vous. Parfois. Mais pas grand chose ne reste en mémoire, si ce n'est quelques effets chocs. Dans un grand barnum plein de bruit et de fureur. Comme si les fantômes et autres entités démoniaques aimaient à se donner en spectacle.


Alors, quand on assiste dans ce contexte à la naissance d'un chef d'oeuvre qui met totalement de côté les gimmicks actuels, on ne peut que rester bouche bée . Comme devant le formidable It Follows. The Witch le rejoint sans peine. Les deux longs-métrages partagent un goût prononcé pour les atmosphères délétères et sourdes. Au point de penser, un instant, que le film d'épouvante serait peut être en train de renaître.


Si It Follows furetait du côté des zones pavillonnaires automnales chères à Halloween, Robert Eggers ancre son récit dans les décors naturalistes de la Nouvelle Angleterre du 17ème siècle nimbée de l'extrême influence religieuse érigée en tant que coeur d'une intrigue inexorable et anxiogène des plus délicieuses.


Si le fantastique et l'horreur suggestive sont convoqués assez rapidement, à la suite d'une disparition tournée hors-champ à l'issue d'un simple jeu, les enjeux de The Witch résonneront finalement de manière désespérément humaine, dans une économie de moyens d'une efficacité redoutable.


C'est tout d'abord la chute lente de l'image paternelle, mise en parallèle avec celle du Divin, qui semble sourd aux prières et aux suppliques. Pire, il semble ne jamais être là pour pardonner. Ralph Ineson, lui, est impérial dans sa composition qui oscille entre la toute puissance des premiers instants dans son autorité inflexible, l'impuissance et le pathétique.


C'est ensuite le récit d'une émancipation et de l'aube d'une vie de femme, celle de Thomasin, qui excite le regard de son jeune frère ou la haine des cadets, qui suscite l'incompréhension et le désarroi de son père, ou encore la jalousie de sa mère dévorée par un deuil impossible et une colère sourde.


Le tout est tissé dans une tapisserie faite de soupçons lourds, nécrosants littéralement la famille éprouvée, sur la nature de la menace pesant sur cette maison à l'orée de la forêt, de malaise confinant à l'hystérie, d'imagerie médiévale sur laquelle la religion pèse de tout son poids et de ses carcans. Et il y a, aussi, ses symboles disséminés. Cette pomme recrachée, ce bouc dont les yeux se posent avec insistance sur Thomasin, cette possession ambigüe dans un délire à forte connotation sexuelle ou enfin ces voix qui complotent dans les ténèbres.


L'atmosphère de The Witch est à nulle autre pareille aujourd'hui, soutenue par des images superbes que l'on croirait issues des oeuvres de Rembrandt, Goya ou Vermeer, éclairées à la lumière fragile de bougies qui menacent à tout instant de s'éteindre pour laisser le mal s'emparer des âmes incertaines. Comme un corbeau qui piquerait de son bec un sein faible.


La scène finale ne laisse guère de doute dans son blasphème : le divin abdique et laisse ses fidèles dévots livrés à eux-mêmes. Le reste est facile puisque embrasser le malin semble être un refuge, dans une élévation en forme de libération.


Selon Poe, la terreur résiderait dans l'âme. The Witch en possède une : païenne, malsaine, oppressante et profondément humaine. De quoi éprouver comme une énorme Sympathy for the Devil.


Behind_the_Mask, Satan l'habite.

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le 21 juin 2018

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