Au crépuscule d'une journée de cauchemar, au sein d'une forêt dense aux branchages secs et acérés, le jeune Caleb se perd alors qu'il poursuivait son chien. Un lapin aux yeux écarquillés a fui face au fidèle Fowler. Le garçon ralentit sa course et commence à scruter la noirceur de l'environnement alentour. Pas un oiseau ne chante mais les crissements extradiégétiques s'intensifient. Caleb progresse dans la douleur. Il sent le souffle chaud de l'horreur sur sa nuque. Ses yeux s'écarquillent alors qu'il découvre le bon Fowler éventré auprès d'un arbre couché. Il le sait désormais : il ne rentrera pas chez lui ce soir. Après avoir passé un enchevêtrement de troncs avec une intense difficulté et pendant que l'ambiance sonore atteint son paroxysme, un long plan sur le visage glacial de Caleb ne laisse aucun doute sur ce qui l'attend. Elle est là, émergeant d'une chaumière menaçante, grimée en succube séductrice. Le jeune garçon succombe et disparaît dans un écran noir soudain.


Cette scène située au premier tiers de The VVitch n'est pas la première à plonger dans l'horreur mais c'est celle qui marie à la perfection les intentions du film. Elevé au sein d'une famille beaucoup trop pieuse au point de quitter un camp de pèlerins car elle considère que la religion n'y est pas assez respectée, Caleb est la seconde victime de la sorcière certes mais aussi de l’extrémisme de ces parents. En s'exilant, il perdent tout. L'histoire se déroule en 1630 dans une Nouvelle Angleterre encore bien peu conquise par les européens. S'exiler et ne remettre sa vie qu'à la bonne volonté du Seigneur c'est un vrai risque pour cette famille. Tellement préoccupés par la soumission religieuse, les parents empêchent le développement de leurs enfants. Caleb a de plus en plus de mal à contenir ses premiers désirs sexuels et son manque de confiance en lui. La scène décrite dans le paragraphe précédent en est la conséquence. La sorcière ne fait que profiter des erreurs commises par cette famille.


Pour le père comme la mère, le diable est partout. C'est lui qui fait commettre des péchés, des erreurs, des errements. Parler de créatures démoniaques est particulièrement pris au sérieux. L'aînée des enfants, Thomasin, en fait alors les frais lorsqu'en tentant d'effrayer sa petite sœur elle entame une véritable réaction en chaîne contre sa personne. Bon, elle a aussi le malheur de se retrouver aux mauvais endroits, aux mauvais moments. A chaque fois. Pour ses parents, le doute n'est plus permis : leur fille aînée a signé le registre diabolique. C'est alors que le film plonge dans l'horreur paranoïaque, celle qui pousse une communauté à se déchirer alors qu'elle faisait face plus tôt, main dans la main. The VVitch marche constamment sur un fil si fin qu'il ne demande qu'à lâcher sous la pression. Et quand enfin, après que nos nerfs aient été suffisamment maltraités, il cède, alors le métrage atteint une intensité sidérante.


En jouant sur tous les « bons » registres de l'épouvante/horreur (exit les effets faciles, jumpscares, gore gratuit et autres bêtises), Robert Eggers signe une œuvre profondément viscérale, de celles qui vous rongent les organes, qui créent un climat de peur constante. Une peur exquise génératrice d'intenses frissons que l'on surmonte soit avec effarement soit avec un sourire de plaisir « indissimulable ». Car Eggers a compris ce que beaucoup ne comprendront jamais. Avant même de faire un bon film d'horreur il faut faire un bon film tout court. Profondeur thématique, contexte très particulier, scénario travaillé, reconstitution perfectionniste... Sans parler d'une maîtrise technique totalement dévouée à l'histoire d'une beauté renversante. Nombreux sont les plans composés et éclairés tels des toiles de maître. Ils créent cette aura fantastique même lorsque rien de surnaturel ne se produit. Quand alors le visuel et l'histoire décident d'embrasser pleinement le fantastique dans les derniers instants du film, The VVitch s'envole pour un climax que certains trouveront sûrement moins finaud que tout ce qui a précédé mais qui achève l’œuvre de manière si grandiose que l'on en reste bouche bée pendant une bonne partie du générique. Sombrant enfin dans le grand-guignol alors qu'il frôlait ses rivages auparavant, le film offre un final en forme de récompense. Comme si tout le reste avait été un calvaire. Mais comme pour le chef d'oeuvre éponyme de Fabrice Du Welz, que ce calvaire fut jouissif !

Aymic
9
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le 5 sept. 2017

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Aymic

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