Avant, les films d'horreurs étaient de véritables paraboles sur notre monde, se servent des peurs les plus primales pour symboliser le changement chez l'individu parlant souvent de la fin de l'adolescence, de l'éveil de la sexualité ou encore de la maternité. Le film d'horreur, à toujours été intéressé par ce changement des corps, plus précisément celui des femmes qui connait les plus grands bouleversements, en l'étudiant toujours sous l'angle de la religion pour en faire quelque chose de surnaturel et démoniaque. Avec le temps, les films d'horreurs sont devenus plus simples et moins complexes, presque banal et terre à terre lorsqu'il s'agit de s'attaquer à ces choses là. Leurs enlevant toute significations symboliques et tombant dans les jumpscares faciles pour faire frémir les âmes sensibles et leurs donner une fausse sensation d'horreur. Le cinéma d'épouvante se divisant alors en deux tranches, celui grand public avec généralement des budgets conséquents, qui n'est que jumpscares et s'inspire "d'histoires vraies" pour essayer de faire encore plus peur, et celui plus arty qui avec ses petits budgets tente d'être l'héritier des grands films d'horreurs des années 70/80. Un cinéma plus exigeant, moins putassier et plus profond qui commence à trouver son public depuis les succès du remarquable It Follows et de ce The Witch, qui en sont à l'heure actuelle les représentants les plus forts.


Robert Eggers, qui signe son premier film à la fois au scénario et à la réalisation, décide d'encrer son film dans un passé régit par les traditions et les croyances. Voulant totalement faire un film d'horreur qui fait sens, il se sert des vieilles légendes, ici la sorcellerie, pour parler de quelque chose de très récurrents dans le cinéma d'horreur, l'éveil de la féminité et de ce qu'elle implique. Ici le sexe est partout mais toujours de manière dissimulé, même l'héroïne, qui atteint le sommet de son adolescence et qui devient femme, n'en prend pas conscience, sa sexualité étant perçu par son frère. Elle ne comprends d'ailleurs pas ce qu'il regarde lorsqu'elle le surprend à mater allègrement sa poitrine. Et c'est là que faire la parallèle avec la sorcellerie est assez habile, la beauté et le sexe sont une chose ensorcelante et pleines de promesses qui finissent par corrompre et touche tout le cercle familial. La mère commençant même à percevoir sa fille comme une menace. Tout ce qui entourera la sorcière restera au final secondaire pour se focaliser sur cette hystérie familial qui se voit plus corrompue par leurs propres visions du monde que par les péchés qu'il peut offrir. Encré cela au sein d'une famille religieuse se montre aussi bien pensé, même si toute les familles le sont à l'époque, celle-ci s'impose même en paria au sein de leur propre religion, étant plus extrémiste que les autres (ils sont puritains) et donc poussé à l'exil. La religion est un symbole d'obscurantisme, opposant la croyance au savoir, et c'est ce qui posera problème à cette famille qui ne chercheront jamais à savoir, s'enfermant dans la folie, la paranoïa et s'isolant non seulement de la civilisation mais aussi d'eux-mêmes. Ici, on nous montre que le meilleur moyen de céder aux péchés c'est de ne pas le connaitre et qu'a trop préserver l’innocence, on fini par la corrompre.
Le propos du film est bien pensé et surtout bien géré même si il se montre foncièrement classique, que ce soit dans le traitement ou l'angle d'approche. De plus, Eggers tombe dans beaucoup de facilités dans l'abattage de ses symboliques, étant souvent poussif et prévisible dans les choix qu'il opère et où il emmène son récit. Même si la science du détail qu'il déploie est ébouriffante, que ce soit dans les dialogues issue du langage d'époque ou dans le folklore qu'il respecte scrupuleusement, il reste dans les sentiers battus du genre. Lui qui voulait faire un film sur la peur de l'inconnu échoue à nous imposer cet inconnu car il utilise des choses que nous connaissons en tant que spectateur depuis des années. L'inconnu et la peur ne frappant donc que les personnages, pas les spectateurs. Surtout que l'ensemble souffre de quelques longueurs lors du deuxième acte et que le troisième acte, malgré sa force indéniable, aurait mérité une approche plus trouble. Eggers se montre trop frontal dans abattage de ses cartes qu'il démystifie son oeuvre. Le traitement de l'héroïne aurait aussi mérité d'avoir plus de place, même si ça fait sens car elle est soumise aux regards et à l'exploitation des autres, mais lorsqu'elle prend les devants certains de ses choix semblent obscurs car certains aspects de sa personnalité ont trop été esquivés pendant le film. Le développement de ses parents et de son petit frère sont déjà plus intéressants et plus cohérent avec ce que Eggers laissait entrevoir d'eux.
Le casting est absolument impeccable. Les acteurs font un travail assez impressionnant pour s'approprier le parlé d'époque et développé un accent guttural très caractéristique. En ça, Ralph Ineson est celui qui impressionne le plus, avec sa voix très charismatique et son jeu tout en finesse malgré le côté bourru de son personnage. Kate Dickie est elle aussi excellente dans le rôle de la mère qui plonge de plus en plus dans la folie et l'hystérie, étant totalement habitée par son personnage. Anya Taylor-Joy est convaincante mais manque quand même de présence pour véritablement s'imposer en tant que rôle principal du film, même si le fait qu'elle s'efface face aux autres correspond au message de l'oeuvre, lorsqu'elle est censé prendre les devants elle ne parvient quand même pas à briller. Tombant même dans le caricatural lors de sa dernière scène.
La réalisation est superbe. Le travail sur la photographie impressionne, jouant habilement sur les effets de lumières donnant un aspect assez froid aux couleurs mais aussi assez envoûtant. Le film est très emprunts de gris mais parfois les couleurs chaudes éclatent notamment au sein des scènes les plus dur accentuant l'aspect malsain et dérangeant de certaines situations. Le montage est assez classique dans son aspect arty, faisant parfois durer les plans jusqu'à l'extrême, faisant un peu trop poseur. Un peu d'audace à ce niveau aurait pu être bienvenu. C'est néanmoins compensé par un score musical ténébreux et ensorcelant qui accompagne l'atmosphère anxiogène du film à merveille. La mise en scène de Robert Eggers est habile et d'une maîtrise assez affolante lorsque l'on constate qu'il arrive à palier le manque de budget grâce à une ingéniosité de tout les instants. Préférant les plans serrés pour enfermer ses personnages, filmant la forêt comme un personnage à part, composant ses plans avec intelligence pour distiller l'effroi sans tomber dans le jumpscare, il fait généralement les bons choix et ça paye souvent. Même si il se perd un peu dans un deuxième acte attendu qui se résume à un huit clos moins inventif et moins marquant. Il retrouve la fascination du premier tiers dans un dernier magistral qui assume pleinement son folklore et qui offre des visions marquantes. Les dix dernières minutes sont d'une puissance visuelle assez rare et le dernier plan et de ceux que l'on oublie pas, nous faisant parfois regretté que le film ait attendu si longtemps avant d'embrasser totalement son aspect fantastique.


En conclusion, The Witch est un bon film. Mais il est aussi une déception étant bien trop classique dans sa forme et son fond, n'arrivant pas à retranscrire le vertige de l'inconnu car s'inscrivant dans un folklore et un message désormais connu de tous, faisant parti de la culture populaire. Créer sa propre mythologie aurait pu être un plus, mais Eggers préfère jouer la facilité même si il fait preuve d'un sens du détail assez remarquable. Au final, malgré une réalisation de haute volée et un casting exemplaire, l'oeuvre n'est pas assez trouble ni assez terrifiante pour marquer malgré le fait qu'elle propose quelque chose de tout à fait honorable. Le film s'inscrit en plus dans la lignée d'un It Follows dans son propos, mais n'arrive pas à en retranscrire le choc ni l'inventivité, ce qui malheureusement le desserre malgré une force visuelle lors des 10 dernières minutes rarement atteinte dans le genre.

Créée

le 17 juin 2016

Critique lue 572 fois

9 j'aime

Flaw 70

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9

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