Après s'être méchamment perdu en route avec le pompeux The Fountain, Darren Aronofsky redescend sur Terre avec son quatrième film. The Wrestler est donc, comme nos amis anglophones l'auront déjà compris, l'histoire d'un catcheur, mais pas n'importe lequel: une icône à la poursuite de sa gloire passée depuis maintenant vingt ans. Un sujet à priori simple qui semble bien loin des complots judéo-mathématiques, des descentes aux enfers médicamenteuses et autres histoires d'amour intemporelle que nous servait jusque là Darren Aronofsky.
Jusqu'ici considéré comme, au mieux, un habile manipulateur d'images chocs ou, au pire, comme un charlatan brassant du vent, le jeune réalisateur décide d'ajouter une corde à son arc pour prouver que ses talents ne se résument pas à des gimmick de mise en scène facilement identifiables. The Wrestler, film du renouveau ?


-Quoi ma gueule ?

C'est bien beau de parler d'Aronofsky et de remise en question mais s'il y a bien un chose qui frappe en voyant The Wrestler ce n'est pas tant l'homme qui est derrière la caméra que celui qui est devant, à savoir l'impérial Mickey Rourke. Il est d'ailleurs difficile de passer à côté de lui tant il est présent à l'écran, envahissant aussi bien l'espace (gros plan ou plan rapprochés de derrière sont en quantité) que le temps (Les plans où il n'apparait pas ne sont qu'une poignée et la plupart du temps s'articulent autour du personnage de Rourke), Rourke bouffe complètement le film.
Il prête à merveille sa carrure de colosse et sa gueule cassée par la vie et les excès à ce personnage qui lui ressemble étrangement . Seul, désoeuvré et au bout du rouleau. Tout en finesse, Rourke évite le piège façon "Rémi sans famille" et donne chair à un personnage finalement assez "ordinaire". L'acteur passe à travers plusieurs registres avec une facilité déconcertante: immédiatement crédible dans la séquence d'introduction il l'est tout autant par la suite que ce soit en catcheur assurant le spectacle, en simple employé de grande surface ou en homme brisé cherchant l'affection de son entourage de manière maladroite mais sincère.

Aronofsky a bien compris tout le potentiel de son acteur principal et il passe ainsi son temps coller à ce colosse aux pieds d'argile. Le petit malin qui faisait du yoyo avec notre cerveau à grand coup de montage serré et de plans impossible s'efface ici au profit d'un simple relais entre le spectateur et les états d'âmes de son personnage central.
La caméra ne distance jamais son lutteur quelque soit la situation, le montrant aussi bien dans les moments de gloire que dans les pires moments de faiblesse. On notera que la caméra se place souvent juste derrière son personnage dans des travelling souples qui soulignent à la fois son aura (impossible de faire abstraction de cette silhouette qui occupe ainsi l'espace de façon presque hypnotique) et qui nous plonge directement dans ce qu'il vit puisqu'on ne voit jamais au delà de ce que lui même voit.
Un procédé de mise en scène mécanique et récurrent, comme quoi Darren Aronofsky n'a pas tant changé que ça, mais bien dosé puisque jamais lourd.

Pas de fausse pudeur, rien ne nous sera caché, la confiance est ici totale entre le sujet et ceux qui le regarde. Une vraie mise à nue qui a la bonne idée de ne pas en faire des tonnes. Ainsi on est loin du misérabilisme façon frère Dardenne.
Le personnage est en difficulté financière, sociale et affective mais jamais la caméra ne vient appuyé inutilement un point supposé nous faire pleurer, une certaine neutralité de bon aloi qui participe grandement à ce sentiment de dignité qui émane de Randy -Ram- Robinson.


-C'est ma street life

Cette neutralité on la retrouve aussi dans la direction de la photographie: lumières crues, voire agressives, plans sobres sans pour autant renoncer à toute notion d'esthétisme: Aronofsky ne se contente en effet pas de coller son personnage comme un morpion sur une adolescente peu vertueuse. Il sait sortir du canevas restrictif de l'approche documentaire pour renforcer l'impact émotionnel ou viscéral de certaines de ses séquences: on retiendra notamment le second combat et ses conséquences aux vestiaires ou une séquence au rayon charcuterie assez hallucinante.

D'ailleurs qui dit catcheur dit catch et là encore Aronofsky assure bien sa partition avec une mise en scène inspirée touchant parfois au lyrique. Loin de filmer de simple pugilat histoire de remplir son réservoir à testostérone, il utilise ces match pour développer un sous-texte apportant encore plus de profondeur à son film et à son personnage central.
Au détour de ce portrait d'homme brisé on pourra également voir un beau témoignage sur le concept même de saltimbanque, en effet tel un acteur, un musicien ou un jongleur, le lutteur est là pour assurer un spectacle qui transportera les foules. Le parallèle avec le cinéma est évident et d'autant plus pertinent que le catch américain est connu (et souvent décrié aussi) pour être lui aussi préparé, mis en scène et joué.

Le film ne tente pas l'absurde croisade de démontrer que tout ceci est vain, au contraire il nous montre tout cela (les préparatifs surréaliste ou on se demande qui va donner le coup de pied ou le coup de coude, les discutions en cours de match, les astuces pour pimenter le show) pour mieux voir qu'au final ce qu'on y vit a une valeur bien réelle. on a beau savoir que c'est préparé les personnages ressentent tout de même des choses bien réelles, à l'image du spectateur devant une fiction. Et c'est au sein de cette absurdité (la vie réelle apportant peut être moins qu'un spectacle où tout est prévu d'avance) que le personnage devra trouver ce qui le rend vraiment vivant. Pas forcément hyper original, ni même très développé ce cheminement entre en résonance avec la vie de Mickey Rourke et cette troublante proximité justifierait presque à elle seule la présence de cette thématique.

Forcément les cinéphiles les plus affûtés auront déjà reconnu les traits de la saga Rocky et il est vrai que The Wrestler peut faire penser à un condensé des 6 épisodes dégraissés des mauvais passages (comprendre les épisodes 3, 4 et 5).
La faute à un scénario trop convenu qui s'embourbe un peu sur certaines ramifications annexes. Si le traditionnel passage avec la fille est traité avec une certaine beauté on regrettera tout de même qu'il soit si peu exploité donnant ainsi un petit goût d'expédié.

Là où ça devient un peu plus gênant c'est la relation qu'entretient le personnage principal avec une strip-teaseuse d'un rad local. Bien que correctement interprété par la jolie Marisa Tomei le personnage souffre tout de même d'un développement plat et prévisible. Des bémols qui pourront entamé sérieusement l'intérêt du film pour les rares qui ne serait pas envoûté par la présence et le charisme de Mickey Rourke.


-Le coup de la corde à linge

The Wrestler s'impose donc avant tout comme un grand numéro d'acteur, plus fort que Phoenix dans "Saint Seiya" Mickey Rourke revient et défonce tout sur son passage, un rôle d'autant plus marquant qu'on a l'impression de suivre une biographie de l'acteur. L'écrasante présence de Rourke nous ferait presque oublier la remise en question réussie d'un réalisateur plus discret qu'à l'accoutumé.
Vnr-Herzog
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le 17 mai 2010

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