Revoir un film (qui en plus fut mon premier James Gray), que l’on avait apprécié, redécouvrir le talent naissant et brut de l’auteur, se laisser porter par la grâce de la mise en scène et finalement encore plus aimer ce film, par sa sécheresse et sa dureté mêlée de noirceur, permet-il d’en faire une critique objective ? Comme d’habitude, j’ai envie de dire non.
Cela faisait longtemps en effet que je n’avais pas revu THE YARDS. Un brumeux souvenir de tragédie familiale mise en avant par l’intermédiaire d’une société ferroviaire se baladait en moi depuis quelques temps et l’envie d’éclaircir cette partie de ma mémoire me taquinait. Et un nouveau visionnage ne fit que dépoussiérer et intensifier de fort belle manière ma réminiscence âgée.
Quelle joie en effet de redécouvrir tout ce qui a été la marque du réalisateur ces dernières années dans une forme brute et encore non polie : la force caractéristique de James Gray, naissante, déjà affirmée mais en pleine construction également.

Commençons par l’histoire. On retrouve bien entendu, comme toujours, la tragédie au sens le plus pur du terme. James Gray cristallise par un scénario à la fois simple, fluide, sec, tendu et linéaire, la quintessence même du genre : les rapports familiaux. Généralement attitrée et affiliée au genre policier et criminel, la tragédie trouve ici sa place de manière exemplaire. Sans grandiloquence, le réalisateur inscrit en effet son histoire dans une sorte de « banalité ».
En effet, pas de grande organisation mafieuse, de chefs charismatiques, de seconds couteux hargneux mais simplement des vies communes et à l’importance relative. On ne se retrouve pas dans les hautes sphères du crime. On assiste au déroulement de l’histoire à l’échelle de petites gens. Ainsi, Gray se concentre sur le développement de son histoire dans une forme réaliste. Il s’intéresse alors à la violence des rapports familiaux plus qu’à la violence criminelle en elle-même.
Et la force de la réalisation réside en cela : créer de l’intérêt pour une histoire de famille commune. On se laisse alors porter et emmener par la main par James Gray lors de cette plongée dans une sphère familiale quelconque. La puissance du récit, des émotions et des enjeux est telle que l’on ne peut que suivre avec attention les événements.

Mais si le film capte et attire autant, c’est bien entendu grâce à la parfaite maitrise et réalisation. James Gray illumine le film noir. Jamais l’obscurité n’a été aussi mise en lumière et magnifiée. Tout est calculé, précis et tendu. L’association d’une photo sublime et caractéristique et de cadrages simplement sidérants crée une alchimie parfaite et une force hypnotique visuelle poisseuse et viscérale.
Le film nous tient alors par l’intensité de son histoire et sa beauté. Mais les éclats de génie de mise en scène y participent également. La scène de l’hôpital, où Mark Wahlberg se retrouve masqué devant un rideau blanc cassé et où le seul rythme et son qui s’en dégage est alors sa respiration saccadée est d’une puissance rare par l’entremêlement de la beauté des plans, du travail sur le son et de la tension du moment scénaristique. De même, une scène hallucinante, lors de l’effraction de l’appartement où Wahlberg se cache, magnifiée par un travail sur le son encore une fois superbe, est une leçon de grâce tout en violence amortie, en tension suffocante et en silence assourdissant.

On se retrouve donc face à un film dont le classicisme fait rage, à la maitrise absolue et à l’intensité folle mais il faut cependant remarquer le rythme faiblard quelque fois, des seconds rôles pas tout le temps assez approfondis et des dialogues pas franchement emballants. Heureusement, ces quelques points négatifs sont dilués dans un ensemble plutôt séduisant et maitrisé. James Gray nous livre donc un film noir, purement tragique, à la beauté féroce et à l’intensité fiévreuse, tout en retenu, et contient son sujet du début à la fin pour livrer une bonne dose de plaisir pour les amateurs du genre.

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Auteur : Paul
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le 27 août 2013

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