En regardant Thelma et Louise, j'ai pris conscience en deux heures de tout ce que les années 90 - décennie que j'ai vécue trop jeune pour pouvoir m'en former une image distincte - contenaient de kitsch. Cela tient aux répliques, aux costumes (vestes en jean taille 50 for the win), au traitement de l'image, aux relations entre les personnages, à leur définition même. Thelma et Louise a mal vieilli.
Dans le fond, le kitsch n'est pas un inconvénient dans la plupart des cas, il permet de palper le filtre de production et de réception d'une époque, d'entrer dans son paradigme, de la vivre au plus près, tandis que les chef d'oeuvres se séparent souvent de cette part de folklore pour s'élever au dessus de leur temps. Ce qui pose problème ici, c'est que Thelma et Louise est un film essentiellement idéologique, et cette dimension dessert la gravité de ses enjeux.


D'après moi, ce film n'est pas féministe, pour des raisons qui ont sûrement déjà été dites. Les prises de risque des deux femmes ne sont jamais de leur fait. Chaque chose dangereuse qu'elles font est une réaction à une injonction masculine, qui ne leur laisse pas de choix. Ce n'est pas parce que leurs caractères deviennent rigides, agressifs, autodestructeurs, qu'elles se sont émancipées. Ce n'est pas parce qu'une femme a quelques aventures qu'elle n'est plus oppressée.
Le plus dérangeant dans le fond, est ce qui permet ce revirement dans leurs vies et leur prise de pouvoir ; les armes. Mais l'arme est une puissance masculine dans le film. De là à dire que la femme doit se faire homme pour devenir forte, il n'y a qu'un pas. Cette réconciliation avec les armes à feu accompagne la libération sexuelle de Thelma, ce que je trouve d'assez mauvais goût d'après le parallèle relevé précédemment.


Par une très belle démonstration de paresse scénaristique, la sexualité de Thelma noue les noeuds de l'action. Elle est d'ailleurs teintée de maladresse puisqu'elle attire tous les ennuis. On ne peut pas lui en vouloir, c'est difficile de deviner qu'un petit bandit pourrait éventuellement être mal intentionné. Thelma, c'est l'amie un peu lente qui rigole à tes blagues en ayant compris autre chose, et qui garde la bouche ouverte d'un air béat sans parler. On perd peu à peu les espoirs et les exigences qu'on avait pour elle. Et puis on s'énerve quand elle fout tout le monde dans la merde.
L'évolution de sa personnalité a la finesse de Bigard dans ses jours de grande forme : sa transgression, déjà accessoirisée grâce aux flingues, l'est également grâce à la cigarette, symbole de rébellion économique pour la bourse comme pour l'imagination. Ces outils servent peut-être à camoufler le fait de ne pas avoir engagé une actrice du même niveau que Susan Sarandon.


Dans ce monde masculin et hostile, Thelma et Louise ne trouvent qu'un allié ; Hal, le gentil policier. Ce qui aurait pu apporter une nuance bienvenue dans le film est là encore l'occasion d'une maladresse : Hal est trop ostensiblement l'alter ego de Ridley Scott dans le film, et les raisons de sa sympathie pour les protagonistes ne sont explicitées à aucun moment, ce qui est dommage pour un film qui, à de nombreuses reprises, préfère dire plutôt que de montrer.


Je retiendrai de ce film un passage de la course-poursuite assez amusant durant lequel elles traversent un barrage de police badass sans s'inquiéter de rien avant d'hurler en se prenant une corde à linge. UNE. CORDE. A. LINGE. Voilà, merci pour tout année 91.

Couverdure
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le 12 mars 2016

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