Le premier sentiment, en tant que spectateur, face à l'objet cinématographique dément que constitue There will be blood, est d'abord la sidération. Puis vient le temps des questions: depuis quand n'a-t-on pas vu dans le cinéma américain un film de studio destiné au grand public faisant preuve d'une ambition artistique aussi élevée? On pense aux derniers feux du Nouvel Hollywood, à Apocalypse now, Raging bull, et autre Voyage au bout de l'enfer. De la fin du 19eme siècle jusqu'à la grande dépression, on suit l'épopée d'un ''oiler man'', littéralement homme de pétrole, la construction de son empire, et son affrontement avec un prêcheur. Tout est là, ou presque, et pourtant on n'a rien dit. Paul Thomas Anderson dévoile une Amérique encore sauvage, faite de petites communautés éparses. L'élément fédérateur sera le pétrole (l'argent, le capitalisme) ou l'église, comme l'indique l'opposition constante entre les deux personnages: on comprend alors que l'ambition du réalisateur n'est rien moins que de montrer la naissance des Etats-Unis modernes, bâtis sur l'argent et la foi, et le pacte tacite liant les deux. Porté par une musique étrange, envoûtante et inquiétante, faite d'accords dissonants, et par les performances hallucinées de ses deux acteurs principaux (Day-Lewis habité, quasi animal et Paul Dano glaçant), There will be blood avance lentement, prenant peu à peu la forme d'une grande fresque qui est aussi le portrait d'un antihéros total, un personnage qui ne présente aucune facette positive, dévoré par la soif de pouvoir. A une relative ascèse scénaristique (l'opacité de l'histoire, des motivations des personnages n'apparait jamais comme un problème, mais plutôt comme constitutifs de la complexité du monde), Anderson va opposer le souffle épique de sa mise en scène, et du film se dégage ainsi une folie sourde, une force hypnotique et organique, qui fait du moindre soubresaut du récit un évènement d'une ampleur quasi mystique. Capable en un seul plan de montrer toute l'évolution du monde, utilisant à plein toutes les possibilités de son art, auteur d'un cinéma qui se situe à hauteur d'homme tout en l'englobant dans un tout qui le dépasse, Paul Thomas Anderson signe un magnifique chef d'œuvre qui le hisse aux côtés des plus grands réalisateurs en activité, voire plus. Mais ça, c'est une autre histoire.
klauskinski
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le 20 mars 2011

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