Il y aura du sang.
La traduction du titre de ce que j'estime être le chef-d'oeuvre de P.T. Anderson - pour peu qu'il n'y en eût qu'un - nous avait mis en garde. Mais au moins autant de sang ébène que de sang carmin.


Et pour nous en convaincre, le réalisateur de Magnolia et de Boogie Nights introduit son drame par une scène d'anthologie de 15 minutes, mutique, durant laquelle un homme élancé mais déjà fourbu finira par découvrir un gisement pétrolifère. Daniel Day-Lewis et ses silences impressionnent, chacun des gestes de l'acteur retranscrivant comme un déjà-long vécu, et l'ambiance oppressante, à la limite du surréalisme, accentue paradoxalement le réalisme de scènes où de téméraires gueules noires descendent extraire l'or sombre des entrailles de la Terre, au péril de leur vie.


Du très très lourd au niveau de la réalisation ; à l'image du reste de l'épopée narrant l'ascension de ce taciturne Daniel Plainview, adoptant au passage le fils de l'un de ses malheureux collaborateurs afin d'attendrir l'autochtone durant les négociations du prix de leurs terres.
On se croirait même dans l'un des plus grands westerns tant la photographie, les plans larges autour des plaines et des petites collines de ce far west d'hommes blancs flattent la rétine. La BO de Johnny Greenwood (Radiohead), tantôt machinale et frénétique, tantôt baroque, tantôt mélancolique, tantôt pesante voire apocalyptique, finira d'enfoncer le clou d'une incessante dramaturgie de la fatalité. Et tant pis si ma phrase ne veut rien dire ! ^^

Mais c'est quand même Daniel Day-Lewis qui nous met la plus grosse claque. Le mec avec sa moustache bien garnie atteint des sommets grâce à ses mimiques renfrognées comme à son regard noir de sang. Le jeune Paul Dano n'a pas encore ce niveau de perfection, mais l'incarnation de l'ambitieux évangéliste osant se mesurer au non moins ambitieux homme d'affaires tire également son épingle du jeu.


Parce que There Will Be Blood ne se contente pas d'en imposer sur la forme. Deux ambitions se défiant et se confondant presque ; l'une et l'autre reniant tour à tour - par l'humiliante absolution publique pour la première, et par une plus personnelle pour la seconde (scène finale) - ses propres valeurs pour la seule qu'elle vénère réellement : le fric. Les deux fondements de l'Amérique (la religion et l'entreprise) ne font plus qu'un ; et deux misanthropies camouflées se font face : l'une derrière son projet capitaliste local, l'autre derrière le manichéisme de sa vertu. La première s'occupant du corps à remplir, et la seconde de son esprit. Ce qui n'empêche pas les deux hommes, pour différentes raisons, de n'avoir que ressentiment et violence envers leur propre père, comme envers leurs propres pairs.


Et à l'image du faux-frère de Plainview et de son fils adoptif qu'il abandonnera pour ensuite le récupérer par intérêt économique, l'ère est à la manipulation, au mensonge, et au chacun pour soi.


There Will Be Blood prend donc les traits d'un film extrêmement noir, où les hommes (il y a si peu de femmes) souffrent en silence, ne luttent que pour leur survie et se méfient de tous. Un monde où la vengeance, la violence et la solitude demeurent les seules réponses qu'ils semblent capables d'apporter. Daniel Plainview allant même jusqu'à confesser son unique but dans la vie : "gagner assez d'argent afin de pouvoir définitivement se couper du reste du monde." Un projet devenu tellement commun de nos jours...
Un film extrêmement noir je le répète, mais selon moi brillant, et à tous les niveaux. Un scotchage en règle de 2h30 truffé de scènes extrêmement puissantes sur le plan physique comme psychologique, mais aussi parfois très spectaculaires.


Quoi d'autre ? Ah oui, un final bien définitif comme je les kiffe.
Il y eut du sang.

RimbaudWarrior
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films dramatiques, Les meilleurs films des années 2000, Le Top 111 Films à bibi et Les meilleurs films de Paul Thomas Anderson

Créée

le 12 avr. 2017

Critique lue 414 fois

19 j'aime

7 commentaires

RimbaudWarrior

Écrit par

Critique lue 414 fois

19
7

D'autres avis sur There Will Be Blood

There Will Be Blood
Kobayashhi
9

Daniel Plein La Vue aime le pétrole, pas les sundae.

Le souci lorsque je décide de placer un film dans mon top 10, c'est que je dois l'accompagner d'une critique, depuis quelques mois, c'est assez facile, je tourne avec les mêmes à qui j'ai déjà...

le 8 mars 2015

108 j'aime

10

There Will Be Blood
Jackal
9

Ça va saigner

Début du XXème siècle au Etats-Unis. Daniel Plainview ne poursuit qu'un seul et unique objectif dans sa vie : s'enrichir en trouvant et exploitant du pétrole. Tous les moyens sont bons pour lui, y...

le 27 août 2011

101 j'aime

7

There Will Be Blood
Fosca
5

There Will Be Oil

Je pense être totalement passé à côté... J'ai eu beaucoup de mal à m'accrocher à l'histoire jusqu'au bout et cela ne m'arrive que très peu lorsqu'un film est autant apprécié que celui-ci. Alors il ne...

le 25 sept. 2015

63 j'aime

15

Du même critique

Le Juge et l'Assassin
RimbaudWarrior
8

Prières et le loup

Plutôt que de nous obliger à nous taper une énième rediffusion du Gendarme-et-de-je-sais-pas-qui sur M6 pour rendre hommage à Michel Galabru, Arte a eu le bon goût de rediffuser le grand drame qui le...

le 7 janv. 2016

54 j'aime

12

Buffet froid
RimbaudWarrior
9

Le poltron, le fruste et le fainéant

Bertrand Blier aurait, paraît-il, assez rapidement écrit le scénario de Buffet Froid en partant de l'un de ses rêves récurrents qu'il prête ici à son personnage principal qu'incarne Gérard...

le 14 juil. 2016

41 j'aime

14

Martyrs
RimbaudWarrior
9

Laissons Lucie faire

J'avais complètement zappé la polémique quant à son interdiction aux moins de 18 ans à sa sortie, alors quand je me suis installé devant une diffusion de Martyrs sur Canal, je ne vous explique pas la...

le 13 mars 2016

39 j'aime

7