Time Code
6.4
Time Code

Film de Mike Figgis (2001)

Commençons par un mea culpa. J'avais téléchargé ce film il y a quelques temps après des recherches sur le split-screen et le plan séquence, puis je l'avais oublié. A l'occasion d'un voyage en train, je cherchais un film à me mettre sous les yeux et j'ai confondu celui-ci avec Time Out (et aussi un peu avec Source Code), bref je cherchais du divertissement. Persuadé de regarder un film avec Justin Timberlake et peu attentif au générique d'ouverture, je fus donc ébahi devant les premières minutes du film, qui me paraissaient osées et radicales pour un film de SF et de divertissement.

Puis, au but d'un certain temps, j'ai compris et je me suis souvenu. Changeant du tout au tout mon attitude et ma concentration, j'ai commencé à entrer véritablement dans le film et à m'y intéresser fortement. Soit un parti pris aussi fou que stimulant : 4 histoires filmées d'un seul tenant et simultanément, présentées en split screen avec un montage son sélectif afin de pouvoir suivre plus facilement le cours du film. Mais comme si ça ne suffisait pas, les quatre histoires se croisent sans cesse et la même scène apparaît filmée de deux points de vue différents en même temps. On a donc un exercice de style évident et virtuose qui à lui seul justifie la vision de l'oeuvre, ne serait-ce que par curiosité.

Etant donné la difficulté à suivre sans trop de perte d'information ce genre de récit, l'histoire est plutôt simple et banale : deux couples centraux se font et se défont autour d'une société de production de films assez minable apparemment. Les acteurs improvisent d'ailleurs sur ce fil conducteur, et vu les conditions de tournage il faut saluer la performance de l'ensemble de l'équipe. Plus intéressant encore, le mélodrame choral présenté, par son ancrage dans un univers explicitement cinématographique (Hollywood, une maison de production, un casting, un tournage, une projection, des réunions) et par la forme même du film dans lequel il se déroule, se double d'une réflexion plutôt maligne et intéressante sur 1) le cinéma / l'art 2) la société / les relations entre les hommes et les femmes à l'ère de la communication. Ainsi écrans et téléphones sont-ils omniprésents à l'intérieur même des 4 écrans projetés, ainsi des personnages s'espionnent-ils, se téléphonent et se mentent sans cesse, avec l'image, impériale et systématique, qui nous présente les deux "bouts" de la communication, les différentes face de la vérité : celle des faits et celle qu'on construit. A plusieurs reprises le film s'ouvre ainsi sur des béances, vertigineuses et émouvantes (qu'elles fassent rire, grincer des dents ou qu'elle titillent une corde sensible) : une femme trompe sa conjointe avec un producteur derrière un écran de projection pendant une projection d'un film érotique; la conjointe espionne grâce à un micro mais ne s'aperçoit de la supercherie qu'une fois le film terminé.

La mécanique du film est bien huilée, celui-ci étant construit de sorte à ce qu'il ne faille jamais se concentrer sur plus de 2 écrans à la fois pour bien suivre l'histoire : les temps morts et forts se succèdent et tournent à mesure qu'un personnage évolue ou disparaît momentanément. Il y a ainsi beaucoup de scènes creuses ou un personnage se déplace d'un lieu à un autre. La scène la plus explicitement métadiscursive - et peut-être trop explicative - est celle où la jeune cinéaste démarre un laïus sur son projet de film d'animation en un plan séquence / temps réel / avec de la musique "dramatique" et à grand renforts de citations (Kantor, une batterie de philosophe, le montage soviétique, etc.). Elle explique ainsi vouloir montrer 4 histoires simultanément suivant des personnages qui s'aperçoivent au final qu'ils sont les mêmes. C'est un peu ce qui se passe avec les 4 femmes principales du film, qui finissent par toutes se ressembler ou se rejoindre, ou qui ont des trajectoires similaires mais en décalé ou dans un ordre d'étapes différentes. Le passage de chacune d'elles par les quatre "cases" de l'écran est significatif de leur interchangeabilité. Mais cette scène trop explicative est un leurre, un énorme ballon de baudruche en forme de blague puisque le démiurge caché du film (le producteur alcoolique et dépressif) lui coupe le sifflet et lui dit que ce qu'elle raconte est merdique et prétentieux.

Ce film est donc un jeu, plus qu'un exercice de style ou une relecture sérieuse du genre. Il faut se méfier de ce que l'on voit et accepter humblement le spectacle qui nous est proposé : on y fait du mauvais cinéma mais avec une sorte de frénésie / sincérité, de grands acteurs y jouent de mauvais acteurs, on y rit des tendances actuelles du cinéma (fausse auteurisation, voyeurisme, cinéma commercial "jetable"), on y pose des leurres, des pièges, des fausses pistes, et puis quelques intrigantes énigmes (les secousses sismiques qui parcourent le film). Un jeu donc, aussi léger que les soap et les mauvais téléfilms du côté desquels il rôde parfois à dessein, mais aussi stimulant que ces quelques oeuvres inclassables et fascinantes que nous offre parfois le cinéma indépendant et quasi-expérimental.

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le 11 mars 2013

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Krokodebil

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