Il m'aura fallu que la palme d'or lui soit attribuée pour me convaincre de pousser de nouveau les portes d'un cinéma en plein mois de Juillet et ceux après des mois de privation. Aucun film en salle n'était parvenu à m'attirer dans ses filets depuis Drunk en Octobre dernier. C'est donc avec une certaine curiosité et un enthousiasme certain que je m'en vais découvrir le film qui aura convaincu le jury du festival de Cannes d'enfin faire passer le flambeau que détenais Jane Campion, jusque là unique femme à avoir obtenu la précieuse récompense en 1992 pour le très beau La leçon de piano.
Presque deux heures plus tard, j'en suis ressortis avec l'impression douce/amer d'avoir assisté à l'expérimentation d'un ovni cinématographique. Ni bon ni mauvais, Titane fleurte avec l'art contemporain. Et au regard de mon peu d’appétence pour cet art, un scepticisme timide a remplacé l'enthousiasme d'alors. Plastiquement remarquable, le film est porté à bout de bras par Agathe Vasseur et Vincent Lindon, tous deux épatant dans leurs rôles respectifs. L'esthétique globale du film emprunte aussi bien à David Lynch (Sailor & Lula ; Blue Velvet) que Nicolas Wending Reffn (l'on pense surtout ici à Only god for give) ou Diao Yinan (le très beau mais non moins frustrant "Le lac aux oies sauvage) et offre un spectacle sensoriel rare dans le paysage du cinéma français. En ce sens, il constitue un geste artistique certain et rafraîchissant à même de venir nourrir notre chauvinisme.
En revanche, le spectateur pourra reprocher à la réalisatrice l'absence de pédagogie à son égard. Enfermé dans son geste artistique presque brut qu'elle semble maîtriser à la perfection, la deuxième partie du film tend à égarer le spectateur par les mutations incessantes qu'il propose et qui tendent à progressivement invisibilisé son fil narratif conducteur. Si le spectateur aura compris depuis bien longtemps que le film interroge la transidentité et explose la vision masculine des choses, la métaphore de la maternité en devenir n'en demeure pas moins opaque et pourra laisser sceptique et songeur, autant que la quête du fils de Vincent, dont on a du mal à en saisir la portée du message. Et c'est précisément dans son écriture à la limite des questionnements métaphysique que le long métrage perds de son autorité, donnant l'impression d'hésiter et de se chercher lui-même dans l'affirmation de la thèse final qu'il souhaite souligner, ce que traduisent notamment les dernières séquences du film.
Au-delà du désir inassouvi qu'il engendrera très probablement pour de nombreux spectateur, Titane reste à mon sens un film à découvrir, surtout en salle, ne serait-ce que pour saluer le courage du geste de Julia Ducournau, et pour mieux en apprécier la plasticité de son œuvre, qui, ne sait-on jamais, sera peut-être culte dans 20 ans.