Ayant bien aimé Grave il y a quatre ans, ce Titane me faisait du coup déjà envie avant son sacre à Cannes il y a deux semaines, mais je dois bien avouer que sa Palme d’or décernée par Spike Lee et son jury lui a donné un attrait certain, d’une part le film n’ayant pas du tout le profil habituel d’une Palme d’or (je me comprends), d’autre part parce qu’à défaut de connaître ses goûts en matière de septième art, j’aime beaucoup le cinéma de Spike Lee et que je ne le voyais du coup pas sacrer une daube – a fortiori si sa tête d’affiche n’est pas noire.
Et du coup, eh bien ce n’est pas vilain du tout. Alors sans surprise, le film partage avec son prédécesseur une certaine fascination (partagée) pour le gore et le malsain, mais a le bon goût de pousser le bouchon franchement plus loin. Alors ça reste évidemment très largement supportable (et j’en profite pour appeler à arrêter le délire du famoso film choc qui a provoqué vomissements et évanouissements à Cannes – un cirque que l’on nous rejoue tous les ans avec l’un des films cannois mais qui commence à devenir vraiment pathétique, je veux dire qu’ou les gens surjouent ou les journaleux en font des caisses, mais faut vraiment arrêter de nous prendre pour des jambons) mais j’apprécie l’audace. Julia Ducournau n’est pas timorée et ça fait plaisir. Les mises à mort sont brutales et certaines scènes bien crados. C’est réjouissant.
Mais contrairement à Grave, Titane introduit en sus un gros élément de fantastique (je n’en dis pas plus), ce qui lui permet de pousser à fond le curseur du body horror (et ça on aime). Mais si tout le monde a déjà évoqué l’influence probable de David Cronenberg sur le film/Ducournau, je note tout de même que cet aspect n’est ici que très superficiel. Et que là où dans tous les body horror movies (que j’ai vus) de l’ami Cronenberg, l’aspect fantastique était le moteur de l’intrigue (ou au moins son cœur), Titane aurait lui été peu ou prou le même film si Alexia était grosse des œuvres d’un homme (plutôt que d’une…). Cet aspect fantastique se greffe finalement à un récit (par ailleurs passionnant) qui n’en avait presque pas besoin. Ce n’est en aucun cas un reproche que je formule au film, mais un point qui m’a interpellé.
Le récit passionnant dont je parle, c’est évidemment celui de la rencontre entre un homme brisé (Vincent Lindon, acteur fétiche d’un autre Brizé, le réal) et une marginale timbrée. Qui vont chacun trouver chez l’autre ce qui leur manquait. Et j’aime bien la manière dont le film traite de l’aspect hautement improbable de leur rencontre : comment diable est-ce qu’une telle combine pourrait fonctionner ? Eh bien en fait elle ne fonctionne pas. Ou plutôt : elle ne fonctionne chez personne d’autre que chez celui qui veut bien y croire. J’avoue que si tout le monde avait l’air aussi dupe que semble l’être Lindon, je n’aurais pas pu croire à cette histoire et c’est tout le film qui se serait effondré. L’entourloupe n’est décemment pas crédible. Mais en réalité personne n’y croit. Et même Lindon, pour lequel le doute sur sa crédulité subsiste au début, au fond n’y croit pas : il le veut, c’est tout. Ce qui présente à la fois l’intérêt de rendre le récit tout de suite plus crédible mais aussi de rendre le personnage de Lindon terriblement émouvant.
Et franchement, Lindon est parfait. Il n’est jamais mauvais, me direz-vous (et vous aurez raison), mais là il est touchant comme je l’ai rarement vu. En plus d’être impressionnant physiquement (son personnage est chargé comme un buffle, alors forcément, s’agit d’être crédible…). Un tournant pareil à soixante piges, c’est propre. L’inconnue au bataillon Agathe Rousselle est bien aussi, mais c’est vraiment lui qui s’offre le film.
Et j’ai bien aimé l’apparition de Bonello en papa de l’héroïne, je ne l’avais pas vue venir mais c’est le genre de surprise cinéphile qui fait toujours plaisir.
Bref. Je ne sais pas si la Palme était méritée (je n’ai pour le moment vu que trois des films de la sélection) mais en tout cas, le bon film est là.