Pas le choc annoncé ni une Palme inoubliable mais un film maîtrisé, captivant, viscéral... Et unique

Que vaut cette Palme d’or inattendue ? Est-ce le film choc dont on parle un peu partout ? Cette récompense est-elle méritée ? Sort-on de la projection avec la nausée et complètement retourné ? A ces trois questions, on serait tenté de répondre non. Mais « Titane » est-il tout de même un bon film ? Oui assurément. Et en tous cas c’est le genre de cinéma radical, viscéral et différent qui fait plaisir à voir en ces temps de cinéma aseptisé qui ne sait plus surprendre ou inventer. On comprend la volonté du dernier jury cannois de délivrer la récompense suprême à un film de genre, différent, fort et qui secoue un peu plus qu’à l’accoutumée. Néanmoins cette œuvre manque d’un propos clair ainsi que d’un fond robuste et plus engagé. Quant à toute la polémique entourant le côté extrême et des scènes jamais vues au cinéma auparavant, cela ressemble à du marketing un peu hypocrite. Dans le genre film qui retourne le bide ou nous scotche au siège à la fin de la séance tellement il s’avère écœurant on a déjà vu bien pire, et seuls ceux qui vont rarement au cinéma ou les petites natures seront offusquées. Peu importe leur qualité, mais un « Irréversible » (vraiment choquant pour le coup et surtout déplaisant) ou un « Martyrs » (une vraie claque de cinéma comme on en voit peu) avaient bien plus un caractère révulsant. Il y a bien quelques séquences malaisantes, très violentes ou étranges mais pas au point d’en faire une polémique pareille qui pourrait même faire mettre de côté les qualités indéniables de « Titane ». On est face à un OVNI de septième art qui ose tout (et parfois même le n’importe quoi) mais l’assume pleinement. Comme du cinéma expérimental mais en totale maîtrise de lui-même. La vraisemblance et la logique sont mises de côté au profit d’un récit et d’images organiques, un film sensitif dont le moteur est régi par les pulsions.


Certes, « Grave » était davantage gore, davantage stimulant et surtout plus facilement appréhendable parce qu’il se laissait apprivoiser en dépit de son côté extrême. Ici, le scénario de Julia Ducornau est clairement atypique, imprévisible, étonnant mais reste captivant. On ne sait jamais où cette descente aux enfers et dans la psyché de ce duo mal assorti va nous emmener et c’est tout à fait plaisant. Mais il y a beaucoup (trop ?) de zones d’ombre et un côté nébuleux sur la signification de cette probable métaphore automobile insaisissable, lointaine voisine du « Crash » de Cronenberg, mais poussé à son paroxysme. Des interrogations qu’il faut laisser de côté pour se laisser emporter par ce voyage de feu et de métal dans les tréfonds d’une pathologie inédite au cinéma. Ducornau n’a pas son pareil pour croquer des portraits empreints de folie et Vincent Lindon et la révélation Agathe Rousselle sont proprement incroyables, tout comme l’est la mise en scène au cordeau de la jeune cinéaste. Envoûtante, créant un univers unique proche du fantastique, ses images léchées absorbent notre rétine et nous colle à l’écran. D’ailleurs un prix d’interprétation ou de la mise en scène semblait plus indiqué. Il y a des scènes qui marquent durablement comme le triple homicide dans la villa ou ces moments où le personnage principal se mutile volontairement mais qui nous emmènent vers un final quelque peu atone. A nous de nous faire nos propres réponses et c’est parfois frustrant. On préfèrera même les moments de drame psychologique, ceux qui lient ces deux inconnus qui vont trouver chacun un intérêt à se lier. Conséquemment, les moments qui vont à l’encontre du possible semblent plus accessoires et vains. Un film différent et intéressant par son amour du cinéma et sa volonté d’offrir quelque chose de déroutant, mais pas le choc annoncé non plus même s’il ne laissera personne insensible et en laissera pas mal de côté. La polémique et les réactions cannoises autour du film se sont peut-être retournées lui alors que cette œuvre ne ressemble à aucune autre et rien qu’en cela, c’est jouissif. En plus de confirmer une cinéaste unique en son genre...


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JorikVesperhaven
7

Créée

le 8 oct. 2021

Critique lue 186 fois

2 j'aime

Rémy Fiers

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2

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