1998 ¤ jour 7 de janvier - Lat. 48° 38' 59" / Long. 2° 01' 00"

Avertissement : ceci n’est pas une critique du film. Juste le reflet d’instants du jour où je l’ai vu la première fois.


Il y a 20 ans, le 1er novembre, la 1ère mondiale du film « Titanic » avait lieu à Tokyo. Vingt ans déjà…


Le paquebot prédestiné au tragique a toujours été pour moi objet de fascination. La haute technologie de sa conception, le luxe dont il était paré, l’histoire de ses passagers, les circonstances du drame, tout relevait de l’indicible émotion. Dès la petite enfance il ne pouvait y avoir un ouvrage, une émission de télévision ou un article de presse sur le sujet sans que je ne m’y sois penché avidement. Je conserve encore aujourd’hui quelques vestiges, des livres bien sur (dont l’incroyable « Renflouez le Titanic »), des enregistrements TV, des coupures de presse dont la plus vieille remonte à 1975...). Le cinéma a lui aussi apporté son lot de versions. La plus impressionnante jusqu’alors étant sans doute celle de Negulesco (« Titanic » - 1953). Cette passion doubla en force quand en 1985 l’épave fut enfin géolocalisée après bien des expéditions infructueuses ou fantaisistes.


Au début des années 90, j’ai commencé à entendre que James Cameron avait en projet de réaliser un film sur l’affaire. Avec l’intention vertueuse de concevoir une œuvre la plus exhaustive qui soit, s’approchant au mieux la vérité et du réalisme. L’impatience fut terrible. De temps en temps quelques informations de la pré-production ou du tournage nous parvenaient. De Cameron je ne connaissais que « Terminator », ce qui était peu rassurant, mais aussi « Abyss » ça l’était beaucoup plus. De folles rumeurs annonçaient caustiquement le naufrage du film, notamment à cause du budget initial littéralement pulvérisé. 200 millions de dollars ce qui faisait (à l’époque) la production la plus chère de toute l’histoire du cinéma ! Quelques images des décors, de la maquette au 1/120è… nous parvenaient. La machine à rêve de nouveau en action !


1997, la sortie internationale est annoncée pour la fin de l’année. Aux Etats-Unis ce sera le 17 décembre. En France le 7 janvier 1998.


A l’époque, je travaillais beaucoup (trop entends-je dire ma conscience). Je cumulais activité professionnelle avec deux mandats électifs (dont celui de Maire). La fin de l’année aussi bien dans le commerce que dans la mission publique est accablante. Entre arbres de Noël en tous genres et Vœux, jours et soirées et week-end étaient occupés, riches d’émotions certes mais facteur de grosse fatigue. Heureusement la période bénie de « mes » vacances était fixée au 3 janvier à l’issue de l’ultime cérémonie à laquelle je devais obligatoirement assister puisque je la présidais, mes vœux à la population.


Mon train prévu à 15h je devais arriver à Saint Malo vers 22h. Il faisait grand vent. Cette période de vacances était un rituel, se reproduisant chaque année. Je partais seul, sans voiture à ce moment précis où la ville corsaire était la plus calme et les touristes absents. Beaucoup de restaurateurs, hôteliers et autres commerçants attachés au tourisme profitent de cette unique semaine de l’année pour fermer. La ville est ainsi rendue à ses habitants, quiétude et solitude rivalisant avec la période d’intempéries. Je connais Saint-Malo dans quatre ses saisons.


La veille le nord-ouest de la France avait été balayé par une impressionnante tempête ressentie jusque chez nous à Lille. Le bagage léger, le trajet en train ne m’a pas semblé plus que cela perturbé. Bien évidemment après la tension du matin, je m’assoupissais souvent. Ceci explique sans doute cela. Arrivé à la gare, ça soufflait toujours, le taxi m’emporta intra-muros. Le chauffeur m’expliqua qu’il y avait pas mal de dégâts, le port avait été partiellement bloqué et quelques touristes se trouvaient encore coincés sur les îles Anglo-normandes. « Ce n’est pas vraiment la période pour prendre des vacances ici » me dit-il. Mi-sourire je lui réponds qu’un « flamand ne se laisse pas impressionner par quelques grains forts » et comme on dit chez nous « Aveuc deux mains noirtes, on minge du pain blanc ». Il éclata de rire, communicatif, je fais de même. J’étais tellement content. Je lui demandais de m’arrêter à la Grand’ Porte. Un crachin à vous détremper plus vite qu’un foc qui claque au vent j'hasardais quand même quelques pas. Coup d’œil sur les quais, le bassin, les remparts, petit salut affectueux à Chateaubriand, autant de balises qui me font dire. Voilà j’y suis !


Lundi - Lendemain matin. Lors du petit déjeuner, j’échange quelques nouvelles avec l’adorable couple gérant l’hôtel « Le Croiseur ». Tous deux contents de me revoir, on parle d’une nouvelle et violente intrusion de la tempête (vents entre 130 et 140kms/h) et du danger à sortir. Je les rassure, petit tour en ville, une ou deux boucles de remparts, un thé bien chaud (je n’en bois que là-bas) et étape au Septentrion mon échoppe préférée, aux parfums d’ailleurs, où se côtoient écrits nouveaux et anciens. Maintenant qu’il me connaît mieux, le libraire ne me prend plus pour un séminariste, et nos discussions peuvent durer des heures. L’après-midi sera placé sous le signe de la détente, appel au cocooning de la chambre d’hôtel, un Mac Orlan comme compagnon, mais surtout le repos.


Le mardi se veut plus calme, les températures sont douces, les colères du ciel sont pour quelques temps derrière nous. Vers les 10h00 j’emprunte la voie qui, il y a encore quelques heures, était violentée par la mer et où s’écrasaient, dans un vacarme étourdissant, des bras de mer, le Sillon… Les stigmates sont encore visibles un peu partout.


De nombreux sillages sur les flots, je longe le rivage absorbant comme je le peux cette énergie maritime. J’ai toujours eu cette habitude de me retrancher du monde, ici et ainsi, pendant quelques jours. Cela me permet de cogiter et surtout être seul, salutairement seul. Tout au long de l’année je suis sur le pont, sans réellement pouvoir lâcher la barre, à discuter, agir, stimuler, engendrer… Portable coupé, et bien qu’en période violente et froide de mer de gris, je me sens à l’abri, protégé. L’esprit-bateau, je suis solidement amarré.


La mer est haute, elle remporte avec elle nombre de déchets amenés la veille. Les brises lames si cher à Gesril et François René, perpétuent leur office, au loin le Grand Bé que je ne manquerais de visiter dans la journée. Malgré la pluie, il fait doux, tout est calme ou presque. Le tintement sec et accéléré des haubans rappelle qu’à quelques miles au large, des femmes mais surtout des hommes risquent leurs vies, pêcheurs, transporteurs, navigateurs, tous marins battant d’un même cœur, d’un même courage !


De l’autre côté de la rue, plus la vieille ville s’éloigne, plus le front de mer et ses nombreuses constructions, de tous styles et de tous genres, rompent le charme. La nébuleuse lumière de cette matinée n’arrangeant nullement les choses. Dans cette dichotomie urbanistique, une irisation rougeâtre attire l’œil. Six lettres A M I R A L.


L’Amiral, l’un des cinémas de Saint Malo. Je traverse, mon idée en tête (d’avant le départ) toujours en active, prête à se réaliser.


7 lettres se détachent d’une affiche en clair obscur sur fond de triangle sacré. T I T A N I C. Titanic, voir ce film tant espéré dans un cinéma dont les portes s’ouvrent sur une perspective d’océan ! Cette idéale condition se double d’idéales conditions puisque le cinéma vient tout juste de s’équiper en son digital et cette unique salle a été mieux que rafraichie, les sièges ont carrément été changés. Un rendez-vous incontournable donc, comme je le pressentais. Demain 14h.


Ouest-France. Les nouvelles de ce mercredi matin ne sont que nouvelles. Les collectifs de chômeurs font le siège des agences ANPE/Assedics, les groupes armés islamistes ont massacré plus de 70 personnes en Algérie, Ségolène Royale lance un énième plan éducation en faveur des collèges. En local, des articles reviennent sur les dégâts subis ces derniers jours par les communes. En temps normal j’aurai réagi au quart de tour, là j’absorbe légèrement distrait. Le programme de la matinée reste flou, l’esprit est ailleurs.


C’est incroyable comme faire le tour des remparts peut prendre du temps… Les 10/12° de température sont propices à la balade. La balade est propice à la réflexion. La réflexion me porte vers le grand large quelque part en atlantique, du côté de Terre-Neuve, le soir du 15 avril 1912. Je passe en revue mes connaissances sur le sujet, j’imagine ce que je vais découvrir dans quelques heures…


Je suis quelqu’un de ponctuel. A un point tel (à ce qu’en disent mes amis), que je suis toujours beaucoup trop en avance, alors qu’eux sont désespérément en retard. Je suis également pragmatique. La salle ne fait que 400 places. La prudence veut que j’arrive devant l’Amiral un peu avant 13h. Visiblement, je ne suis pas le seul à être fasciné par le Titanic, à attendre ce film de tous les records ! Une dizaine de personnes sont déjà présentes sur les marches. Cette ancienne salle de spectacle aux allures d’hôtel particulier, va sans doute revivre les grandes heures d’affluence comme à la belle époque ? Pour le moment la cinquantaine de personnes amassées devant la façade est calme. Je serai aux « premières loges ». Je regarde d’autres spectateurs arriver encore. Une file d’attente longe non plus un immeuble, mais trois, quatre et visiblement bien plus. Présence humaine qui se densifie, je peux à peine bouger, il fait chaud d’un coup. 13h30 une porte s’ouvre. Comme à l’ordinaire, face à une telle effervescence, quelques consignes sont données au public. Ne pas pousser, rester calme… La seconde porte s’ouvre, je suis projeté dans le hall. Dans la cohue je perds quelques places. Ca râle, ça crie, ça se bouscule. On se croirait chez Harrods une heure à l’ouverture des soldes ! C’est vrai que c’est la période.


Tant bien que mal, je prends mon ticket. La salle est déjà à moitié remplie, la résonance des voix est infernale. Qu’importe, j’y suis ! L’un des rares privilégiés (enfin presque, toutes les représentations affichaient quasi complet au niveau national) à assister à la première séance en France. En aucun cas une gloriole, juste de la satisfaction. Mais ce que les pubs peuvent être longues !


D’un coup la lumière s’éteint, le brouhaha cesse. Je ne ferai pas ici le story-board de mes impressions et expressions du visage par rapport aux images qui vont suivre. ! Je me laisse aller à ce mirifique spectacle qui fait la part belle au vaisseau en le ressuscitant l’espace d’un moment. Bien sur, il y a l’histoire d’amour au premier plan, bien sur l’actrice principale est un peu tarte face à un Di Caprio rutilant… ce ne sont pour moi que détails au regard de la restitution magistrale de celui que l’on nommait alors l’Insubmersible, de cette merveille technologique. Pas un détail ne manque. Chronologie du drame, architecture du bateau, reconstitution précise et précieuse des décors, accessoires et bien sur comportements humains d’alors. Cameron a remis en lumière tout ce que l’on savait alors du Titanic. Le film est un florilège. Les yeux d’enfants face à un arbre de Noël, je suis émerveillé par le Grand Escalier, le dôme, les salles de réception, les ponts, les chambres. L’élégance et le luxe d’alors ont recouvrent vie. Les yeux plein de larmes quand la machine se tord de douleur et gémit métalliquement sur sa fin. Les yeux détournés en voyant toutes ces victimes potentielles et à venir. Avec "Titanic", le seul regard ne suffit, tous les sens sont à l’affût.


Au générique de fin, la mélodie est déjà ancrée dans les mémoires. Des applaudissements fusent. Personne ne quitte son siège. Le temps est suspendu à l’émotion.


Pris dans la vague des 380 spectateurs, je suis comme porté vers le large qui s’offre. Extérieur nuit. A l’horizon des points lumineux verts, rouges bleus semblent correspondre, échanger d'étranges messages. Le vent a forci, un voile iodé nappe la cité. Je laisse les personnes qui discutent encore devant la salle, Je traverse et je réponds à l’appel de la mer. Je suis incroyablement serein, et profondément accablé en même temps. La marche fut longue. Besoin de solitude. Je longe les remparts, Porte Saint Vincent, Grand’Porte, Porte Saint Louis, Porte de Dinan… tout est paisible. L’ombre d’un chemin qui semble s’aventurer dans la mer. La môle des noires. Longue marche pour aller jusqu’au petit phare et se rapprocher un peu du large. Accoudé à un garde fou, je scrute l’horizon. Etranges sensations. Magie de l’instant.


Le lendemain, en partance pour Brocéliande et une nouvelle « aventure », au volant de ma Punto de location, on ne parlait que du film à la radio : plus de 200.00 spectateurs en France pour le 1er jour (malgré une séance en moins), la prestigieuse reconstitution, le gigantisme… Ce n’était qu’un début. Très vite, l’exploitation du film deviendra compliquée, presque folle. Il faudra attendre quasi un mois pour réserver sa place. Le nombre de salles ayant pourtant été démultiplié. Je reverrai le film trois fois encore en quelques semaines. Lorsque « Les fantômes du Titanic » sortit en 2003 l’attente était presque aussi fébrile, malheureusement le documentaire ne nous dévoilait presque rien de bien nouveau. Quant à sa ressortie en 3D en 2012 ce fut une véritable arnaque.


20 ans après, que reste t-il de cette frénésie ? Une ambiance, un beau souvenir mêlant cinéma et vie personnelle. Je n’ai jamais plus ressenti une telle ferveur. Je vais moins souvent à Saint-Malo. Le cinéma Amiral a fermé ses portes en 2004, remplacé par un show room sur les métiers du zinc. Ca ne s’invente pas ! En revoyant le film, on se dit qu’en matière d’effets spéciaux l’on pourrait faire mieux aujourd’hui, que oui décidément cette histoire d’amour est à trop forte corpulence (à l’image de son héroïne ?) par rapport au reste du récit. La fin si grandiose, n’est plus avérée à ce jour. La poupe du Titanic ne s’est pas relevée pour s’engouffrer dans les flots. Elle s’est simplement affalée sur le côté et a sombré ainsi.


Mais le présent peut dire ce qu’il veut… il n’empêche qu’aux premières notes de flûtes… aux premières images du film… ressurgissent (comme dans les scènes finales) les images de cette période heureuse se conjuguant au présent.


A VOIR :


Documentaire de 1912 (Saved from the Titanic) visite du paquebot


TITANIC'S LAST SONG de la mise à l'eau au rapatriement des corps photos


Autres images d'archive L'après naufrage


Titanic Then And Now L'épave


Then and Now L'épave 2


Objets retrouvés


Saint Malo


Film de Louis Feuillade The Obsession - 1912 - inspiré du drame

Créée

le 23 oct. 2017

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Fritz Langueur

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