Trois réalisateurs, des nationalités différentes, nous livrent chacuns leur vision d'un Tokyo moderne, pas si loin de nous.



- Interior Design de Michel Gondry : Une histoire aux allures de "Nana" (excellent manga de Ai Yazawa) : un jeune couple de provinciaux décident de monter à Tokyo, avec l'envie de réussir leur vie à la capitale. Les jeunes gens s'aperçoivent rapidement que la vie n'y est pas plus rose qu'ailleurs, et commence de plus en plus à désenchanter, surtout la jeune fille qui avoue ne plus trouver sa place au point de (vouloir) s'éffacer. Cette impression de vide va l'amener peu à peu à vouloir se transformer, pour se rendre utile, ... En chaise !

Le spectateur est invité à croire en cette mutation "physique" (aucun changement de cadrage voire de grain n'est utilisé pour nous faire basculer du "réel" à l'imaginaire), avec la volonté d'"annuler les frontières entre l'écran et le spectateur" (comme le souligne le jeune homme lors de la projection de son film) et à partager la névrose de cette jeune femme, reflet d'une génération qui n'arrivent pas à trouver sa place dans la société, société qui ne la comprends pas non plus. Incompréhension entre les êtres poussant à l'isolement et aux pertes de repères individuels et sociétales.



- Merde de Leos Carax : Un homme difforme et à la posture décharnée sort tout droit des égouts de Tokyo (campé par l'impressionnant Denis Lavant, acteur fétiche du réalisateur). Lors de son parcours à travers la ville, son contact avec les habitants se fait brutal et grossier, sans gène. Il devient un véritable phénomène, notamment à la télévision qui finit par se l'approprier (avec les excès qu'on lui connaît). La bête est traquée, attrapée, jugée. Elle finit par parler mais son langage est incompréhensible : seul son avocat peut le comprendre et permettre au reste du monde d'être compris. Le procès intenté contre lui nous permet de voir son vrai visage : un être abject, xénophobe, qui désir éradiquer la population japonaise du monde.

Durant l'attente du verdict, les médias nous montrent les conséquences du "phénomène Merde" : des manifestations "anti-Merde" demandant son expulsion du pays, et celles "pro-Merde" qui ont pour revendications la propagation de la haine et pour slogan "Merde, plus tu nous hait, plus on t'aime" (ou comment l'espèce humaine, quelque soit l'ethnie, se complaît dans l'intolérance et la lobotomisation). Arrive le verdict : Merde est pendu. Les Japonais croient s'en être débarasser, mais on ne se débarasse pas de la merde aussi facilement....

La démarche de ce film est semblable à celle de Chris Marker avec un film comme "Sans Soleil" ou "Le Mystère Koumiko" : remettre en cause un point de vue exotique du Japon par les Occidentaux, et montrer que les préjugés culturels n'ont pas lieu que dans un sens... Mais c'est également une vision caustique d'un monde qui ne jure que par la bêtise humaine, au point de s'y complaire, vision qui touche l'ensemble des nations (cf. Le plan de fin : "A venir " Merde aux USA !")



- Shaking Tokyo de Bong Joon Ho est le film qui clôture ce trypique tokyoïte.

Un homme à l'écran, l'Histoire en voix off. Raconte au spectateur qu'il a fait le choix de rester cloîtrer chez lui, de se couper du monde. Peur de sortir, peur des autres, peur du Monde. Ses seuls contacts restent les livreurs, seuls liens avec le monde mais là encore aucun lien n'est tissé, même pas par les regards qu'il évite soigneusement. Puis, un jour, c'est le choc : un porte-jartelle qui force le regard à se lever vers l'autre et là le choc : la Terre tremble, la jeune femme s'évanouit et l'homme panique. Il tente une approche, un contact physique, scrute son corps marqués par diverses écritures et finit par trouver un bouton ON / OFF sur ses hanches. La jeune femme se réveille, les personnages sont tous deux troublés.

Banalités échangées sur le rangement strict de la pièce puis elle s'en va. L'homme, qui finit par obtenir l'adresse de la jeune fille, tentera tout pour la retrouver, jau point de sortir de chez lui. Les premiers pas sont difficiles, hésitants, mais le Désir aura raison de la peur. Dès que les marques avec le monde extérieur sont prises, il décide de partir à la recherche de la jeune fille, qui a tout comme lui auparavant, a fait le choix de couper les ponts avec le reste du monde.

Arrivée dans le quartier, il constate avec désolation que les gens restent enfermés chez eux, ce qui le renvoie à sa propre image. Il finit par l'aperçevoir au travers d'une vitre, continuant sa transformation robotique (en dessinant d'autres boutons sur sa peau), décidée à délaisser son statut d'être émotionnel au profit d'une carcasse technologique où les boutons déterminent les émotions. L'homme la force à plusieurs reprises à sortir de chez elle, ce qui provoque de nouveau un tremblement de terre. La panique s'installe, forçant les gens à sortir de chez eux, à se réunir mais uniquement le temps d'un instant dans la rue, ensembles, avant de retourner chacun chez soi. Ce que tente aussi de faire la jeune fille, mais définitivement empéchée par l'homme. Simplement en appuyant sur le bouton LOVE.

Bong Joon Ho exprime ici sa déception face la tendance actuelle des individus à se replier sur eux même, en évitant soigneusement l'Autre (au sens large) car se donner devient trop difficile, voire trop périlleux, et prône une ouverture sensible vers l'être humain, en faisant tomber les clichés et les barrières (dans lesquels on aime souvent se cantonner). Un film qui a fait le choix d'être divisé en 3 parties, mais avec une réflexion cohérente qui, au final, forment une jolie fable humaine et poétique, mais surtout à portée internationale (dimension que l'on retrouve aussi au niveau de la production : Allemagne, Corée, France, Japon).

Il y a ici l'idée d'un Tokyo qui aurait pu être n'importe quelle autre grande ville, avec ses habitants qui se croisent sans se voir ni se parler, ne se comprennent plus voire ne veulent plus faire l'effort de se comprendre, et qui restent enfermés dans les clichés notamments culturels et ethniques. Un film qui nous offre également une réflexion sur l'Image et nos rapports à celle ci (à travers les images TV dans la ville mais aussi cinématographiques), bref qui nous invite à questionner notre rapport au réel et donc à l'Homme.
Madie_Murakawa
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le 1 févr. 2013

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Madie Murakawa

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