Biopic minimaliste mais nimbé de fantastique

Avec tous les projets de biopics qui sortent à la pelle chaque année, il était étonnant que les studios n’avaient pas encore tenté d’élaborer un film sur un homme de lettre aussi référencé que J.R.R. Tolkien. Un long-métrage qui perce le mystère de cet homme, poète et professeur – et encore, le CV est bien plus long ! – qui a réussi à créer un univers, une œuvre aussi riche que ces écrits sur la Terre du Milieu : Le Hobbit, Le Seigneur des Anneaux, Les Aventures de Tom Bombadil, le Silmarillon… Un être humain qui, « pour le plaisir », a inventé toute une mythologie et un langage. Bref, une personnalité importante de la culture ayant le pedigree adéquat pour être immortalisé – bien que cela soit déjà fait par son travail – par un média populaire. C’est désormais chose faite ! Mais grande question : avions-nous vraiment besoin d’un énième biopic ? Avions-nous besoin que l’on nous montre le quoi du comment ?


Sur le papier, Tolkien est classique. Beaucoup trop même, le titre arborant la même structure narrative que ses congénères. À savoir commencer l’histoire à un point culminant de son personnage (ici, sa survie dans les tranchées de la Première Guerre mondiale) pour émailler le récit de plusieurs flashbacks, de l’enfance du protagoniste jusqu’à l’événement qui marquera à jamais sa vie. Qui apportera les conséquences que nous connaissons (l’écriture et la publication de ses ouvrages). Tolkien, c’est une fois de plus cette formule. Il est vrai que le domaine du bonhomme ne se prête pas à quelques envolées loufoques, comme a pu le faire récemment Rocketman en faisant de la vie d’Elton John une comédie musicale. Mais il n’empêche que l’auteur méritait bien mieux qu’un récit nous contant son parcours scolaire. Son idylle. Ce qui intéresse le spectateur dans une telle œuvre, c’est surtout de savoir d’où vient le génie d’un tel homme. Et même là-dessus, le film ne s’attarde par forcément. D’accord, ce dernier nous montre bien que ce sont les horreurs de la guerre qui lui ont permis de créer, de visualiser certains détails de la Terre du Milieu (la violence des batailles, le personnage de Sauron, les paysages brumeux…). Que la langue qu’il a créée est d’une richesse et d’une simplicité étymologique. Que son idée de « Communauté » est née de ses camarades de son groupe littéraire – très bien mis en avant, cela dit. Mais cela reste des indices et jamais de véritables explications. Comme si l’imagination de Tolkien restait un mystère à part entière et que finalement, il n’y avait finalement pas grand-chose à raconter au public. Et ça, c’est vraiment dommage…


D’autant plus que Tolkien, tout comme son titre, se révèle être très sobre. Cela peut être un véritable atout parmi tous ces projets clinquants et m’as-tu-vu que le milieu hollywoodien nous réserve. Alors certes, un récit se passant à une époque passée nécessite toujours des costumes, des décors de circonstance – surtout que le cher Tolkien a évolué dans des milieux plutôt aisés. Et qu’un passage par la guerre impose le fait d’avoir des séquences de bataille, avec effets spéciaux et pyrotechniques (rondement menées, soit dit en passant). Mais malgré ça, jamais le film ne fait tape-à-l’œil. Jamais il n’en fait trop visuellement pour titiller le spectateur et lui mettre des étoiles dans les yeux. Tel n’est pas son but, et il ne s’y vautre pas. Cependant, être aussi sobre l’empêche d’avoir l’envergure appropriée pour une personnalité aussi importante dans l’histoire culturelle. À aucun moment le long-métrage ne se montre marquant, puissant ni encore sensationnel. Hormis un détail de mise en scène à ne pas négliger – qui sera évoqué dans le paragraphe suivant –, Tolkien ne percute jamais, alors que des séquences s’y prêtent pourtant. Il suffit de voir la toute dernière séquence : l’écriture de la première phrase du Hobbit (« Dans un trou, vivait un Hobbit » « In a hole in the ground, there lived a Hobbit »), filmée et montée de manière anecdotique avant que n’apparaisse le générique de fin. Là est l’autre problème de Tolkien, qui n’a pas su trouver le juste milieu question sobriété.


Cependant, il ne faut pas non plus jeter Tolkien dans les biopics sentant la banalité à plein nez. Le métrage a ses défauts, son classicisme et son manque d’envergure. Outre sa bonne production et des comédiens impliqués, c’est surtout l’ambiance de l’ensemble qui permet de suivre ce récit sans déplaisir. Qui lui offre une toute autre posture auprès du spectateur. Conscient de l’œuvre de Tolkien, l’équipe du film a voulu montrer ses inspirations non pas par l’écriture mais plutôt par l’image. En apportant ici et là un semblant de fantastique, de fantasy et de féérie. Comme par exemple dévoiler la beauté de la nature (lumineuse, merveilleuse, agréable) face à la noirceur de la ville (un plan crépusculaire, avec les silhouettes des bâtiments). Nature qui, rappelons-le, sera une des bases primordiales de ses récits. Ou encore ajouter des chevaliers noirs (les Nazguls) et autres démons (Sauron, un dragon…) pendant les séquences de batailles, qui prennent alors des airs de combats apocalyptiques sans espoirs. Avec une très bonne direction artistique et des effets spéciaux de bonne facture, offrant des plans visuellement réussis, Tolkien se démarque sur ce point de la concurrence. Et ce sans oublier les compositions de Thomas Newman, tout simplement délicieuses, prodiguant au projet la magie dont il avait besoin pour sortir un peu du lot. Même, certaines partitions rappellent un peu la trilogie de Peter Jackson, c’est dire !


Plutôt que de finir sur un blockbuster haché-menu (X-Men : Dark Phoenix), la Fox, via sa filière Fox Searchlight Pictures, aura eu le droit de clôturer sa période d’indépendance. Nous devons même le remercier d’avoir laissé ce film sortir en salles alors que le studio aux grandes oreilles effectue actuellement un grand ménage, repoussant des titres à une date ultérieure (le cas Les Nouveaux Mutants) et annulant même certains projets à la production bien avancée (Les Légendes de la Garde, News of the World de Paul Greengrass…). Oui, Tolkien aura su s’en sortir au beau milieu de ce tohu-bohu. Alors oui, le film, en soi, n’est pas exceptionnel et reste un biopic minimaliste du grand homme qu’était le personnage éponyme. Mais par son parti pris d’apporter du fantastique, d’un cahier des charges respecté et d’un certain savoir-faire maîtrisé, le long-métrage reste agréable à visionner.


Critique sur le site --> https://www.lemagducine.fr/cinema/critiques-films/tolkien-film-dome-karukoski-avis-10014749/

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le 27 juin 2019

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