Je ne jugerai pas des techniques cinématographiques, du jeu des acteurs, ou que sais-je encore sur le 7ème art, n’y connaissant rien je ne m’y sens pas autorisé. A contrario, même un crétin en cinéma tel que moi visionnant un « biopic » sur Tolkien serait en droit d’espérer un peu de matière noble concernant la vie et l’œuvre de Tolkien, voire (et surtout) d’espérer qu’on lui livre quelques clés, quelques interprétations, même osées et sujettes à caution, et qu’enfin le réalisateur y déposât un peu d’art et de finesse.


Rien de tout cela dans cette infâme nullité.


Dans sa correspondance, Tolkien écrivit que Le Seigneur des Anneaux « est une œuvre fondamentalement religieuse et catholique ; elle l'était inconsciemment au début, mais consciemment dans sa révision ».


Voilà qui eût pu, dû, mettre la puce à l’oreille du réalisateur et constituer un angle d’attaque honorable pour un biopic : montrer en quoi la vie et les convictions spirituelles de Tolkien ne pouvaient qu’accoucher d’un best-seller manichéen.


Au lieu de quoi Karukoski jette un voile de pudeur sur la spiritualité de Tolkien. Pourtant Humphrey Carpenter, auteur de la biographie de référence, définit que le catholicisme de Tolkien constitue l'un des aspects les plus profonds et les plus importants de sa personnalité. Karukoski passe allègrement à côté.


S’essuyer les pieds sur l’aspect le plus important de la personnalité d’une célébrité dont en prétend faire le biopic relève de la tragi-comédie, au mieux.


Un petit exemple ? La conversion au catholicisme de la mère de Tolkien qui motivera le reste de la famille protestante à la déshériter, évènement qui marquera le fils au fer rouge, n’est pas évoquée. A peine nous gratifie-t-on d’un méchant curé dont l’obsession sera de dissuader J. R. R. de « fréquenter les filles ». Reductio ad debilum, les relations entre Tolkien et ce prêtre furent autrement plus riches, complexes et surtout décisives.


Inversement, Karukoski a la main lourde sur les poncifs éculés : l’amitié c’est bien, la guerre c’est mal (sans blague ?), et d’en faire des caisses. Pas de chance une fois encore, Tolkien écrivit à plusieurs reprises dans sa correspondance que la guerre n’eut qu’une influence minime sur sa production littéraire. Décidemment.


Aussi Karukoski se contente-t-il de présenter des scènes de guerre, d’amitié et de sport, sans jamais brosser la plus minime tentative de portrait psychologique ou spirituel des protagonistes, qui n'ont alors guère plus de consistance que des ectoplasmes.


Mais je me corrige illico : Karukoski n’est peut-être pas passé à côté de son sujet. Il apparaît que le massacre fut possiblement volontaire, comme a dû l’être la servitude des fans de l’écrivain se rendant au visionnage de cette chose insignifiante.


Première hypothèse : il n’est pas impossible, devant un tel mépris tranquillement affiché, que Karukoski ait cherché à cracher non seulement sur les spectateurs mais aussi sur la gueule béatement ouverte des lecteurs de Tolkien auxquels pouvait théoriquement s’adresser cette boue analgésique, pensant que le simple fait d’avoir le mot « Tolkien » inscrit en haut de l’affiche suffirait amplement à faire vendre du billet.


Deuxième hypothèse : Karukoski imagine que le catholicisme de Tolkien, et son anti-anglicanisme appuyé, constituent des handicaps commerciaux insurmontables, et qu’il était préférable de mettre un couvercle sur le réel pour sauver son tiroir-caisse.


Troisième hypothèse : Karukoski n’a pas de couilles.


Quatrième et dernière hypothèse : Karukoski n’a pas le niveau. Alors comme disait Chateaubriand, l’ambition dont on n’a pas les talents est un crime.


Anecdote : la famille de Tolkien indiqua qu’elle ne soutenait en aucun cas le film ou son contenu. Tu penses.

-Valmont-
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le 4 oct. 2019

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-Valmont-

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